La fabrique de Poupées [roman]
Bonjour tout le monde, aujourd’hui je vous parle de La fabrique de Poupées, premier roman d’Elizabeth Macneal (2019) et dont la traduction française de Karnne Guerre est publié aux éditions Presses de la Cité. J’ai remporté ce livre lors d’un concours l’année dernière et je l’ai sorti de ma PAL à l’occasion du British Mysteries Month.
Nous sommes à Londres en 1850. Iris travaille dans une boutique de poupées avec sa sœur jumelle. Des heures durant elle peignent les visages de porcelaine pour leur patronne acariâtre. Iris rêve d’une vie meilleure. Iris se passionne pour la peinture. Mais tout cela elle doit le garder secret, même aux yeux de sa sœur devenue si froide et dure avec elle depuis sa maladie qui l’a défiguré.
Albie, 10 ans, garçon des rues édenté, enchaine les petits boulots pour survivre. Chasseur de cadavres pour un taxidermiste, couturier pour la boutique de poupées… il fait de son mieux pour aider sa soeur obligée de se prostituer pour quelques pièces.
Silas, un taxidermiste à l’allure inquiétante qui a des rêves de grandeurs. Un jour il aura son propre musée. En attendant, il cherche la perle rare, le spécimen qui fera sa renommée et viendra embellir sa collection d’animaux naturalisés. Incompris de tous, seul, Silas est malheureux.
Voilà des vies tristes et ternes dans un XIXe siècle qui n’a rien de romantique. Le XIXe des petites gens, de la crasse dans les rues, de la pauvreté, des vies misérables.
Iris n’est pas à plaindre, elle a une bonne place, un salaire correct. Mais travaille du petit jour à la tombée de la nuit, loge chez sa patronne et n’a aucune perspective d’un avenir meilleur. Elle a beau se dire que nombreux sont ceux moins bien lotis qu’elle, comme Albie pour qui elle a beaucoup de tendresse, mais elle ne peut se résoudre à accepter cette vie. Chaque nuit, en cachette elle se lève pour peindre. Chaque centime économisé, elle l’emploie à acheter du matériel qu’elle cache pour ne pas perdre sa place. Sa famille, très puritaine, ne supporterait pas d’apprendre qu’elle s’adonne à ce genre de pratiques décadentes.
Voici le cadre triste et glauque de la première partie du roman. J’avoue avoir eu beaucoup de mal avec cette première partie qui est très glauque, avec des descriptions détaillées et nauséabondes (les quelques passages décrivant les repas d’Iris m’ont donné la nausée). Il a fallu que je me force pour continuer, surtout que je ne voyais pas où tout cela nous menait.
Iris s’efforce de mâcher sa part de pudding à la graisse de bœuf, mais un morceau de viande lui résiste elle l’avale tout rond. Elle entend distinctement sa sœur mastiquer sa propre bouchée de nourriture en respirant par le nez. Ce bruit l’insupporte. Tout, plutôt qu’endurer ça une seconde de plus ! Alors, elle prend la parole : “J’ai hâte de retrouver mon prêtre préféré demain !
-Je suis ravie que tu trouves ses sermons si édifiants, l’interrompt sa mère avec un regard d’avertissement.
-Oh, assurément.” Iris marque une pause, sa fourchette à mi-chemin de sa bouche. Le cartilage du rognon scintille sous la lumière, la graisse est jaune. (p 62)
Un petit pudding de graisse et de cartilage, ça vous tente ? Comment ça vous n’avez pas très envie de goûter à la gastronomie du XIXe siècle ? Une petite boisson alors ? Que diriez-vous d’un whisky chaud au beurre ? Ou pourquoi pas partager le petit déjeuner d’Iris : une tartine de gras de bœuf.
Et puis le ton change avec la seconde partie.
Iris a craqué, elle a quitté la boutique de poupée et son oppressante soeur pour travailler comme modèle pour Luis, le jeune peintre appartenant au mouvement préraphaélite qu’elle a rencontré. D’abord réticente à l’idée de travailler comme modèle, elle finit par se laisser convaincre suite à une violente dispute avec sa soeur Rose. De plus Louis s’est engagé à lui donner, en plus d’une bonne paye, des cours de peinture. Une nouvelle vie commence pour Iris. Une vie d’indépendance et de liberté. Elle se trouve un petit logement, travaille dans l’atelier avec Louis et ses amis peintres, participe à des soirées, visite des expositions et surtout elle peint et dessine tous les jours.
Love’s messanger de Marie Spartali (1185) et Saint Graal de Dante Gabriel Rossetto (1874) me font penser au tableau de Louis dans le roman par leur composition
Cette deuxième partie est beaucoup plus lumineuse. Iris est heureuse et nous partageons son enthousiasme. Le ton y est beaucoup plus joyeux. Nous entrons dans un autre univers, celui de la peinture et de l’art. Le monde parait moins laid, même si la pauvreté est toujours là avec Albie et sa sœur qui mènent une vie vraiment dure. Le glauque aussi est toujours là avec l’ombre de Silas, l’inquiétant taxidermiste qui plane autour d’Iris. Dès le départ on pressent que ce personnage est inquiétant. Ce pressentiment s’amplifie de page en page et on se demande à quel point cet homme est dangereux et dérangé. Mais Iris est pleine d’espoir, elle a réussi a échapper à son destin, a pris les commandes de sa vie et tente de se faire une place dans une société qui laisse bien peu de possibilités aux femmes, surtout quand elles sont d’origines modestes.
Avec cette seconde partie, je suis enfin entré dans le roman. J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre Iris dans sa nouvelle vie. Les pages défilent et on ne s’ennuie pas, même si au final il y a assez peu d’action.
Avec la troisième et dernière partie du roman, le ton change encore. De la tranche de vie historique au ton romantique, on bascule dans le thriller angoissant. Un changement radical qui marche très bien. J’étais prise par les dernières pages, anxieuse de découvrir le dénuement de l’aventure.
Un roman, trois univers servis dans un même décor avec les mêmes personnages. Un exercice de style très intéressant que l’auteur, Elizabeth Macneal remporte haut la main. Je ne regrette pas du tout d’avoir persévéré alors que je peinais à avancer dans la lecture des premiers chapitres. Au final, j’ai beaucoup aimé ce roman, que je trouve plutôt original.
J’ai aussi beaucoup aimé évoluer dans le milieu des peintres préraphaélites, un mouvement de la peinture anglaise du XIX siècle que j’aime beaucoup, mais dont je ne connais pas grand-chose. Grâce à cette lecture, j’ai pu en apprendre davantage sur leur démarche (je m’étais contenté jusque là d’admirer les œuvres).
Il ouvre un ouvrage consacré aux fresques peintes sur les murs du Campo Santo à Pise et s’extasie sur la beauté des oeuvres de cette période, celles qui ont précédé l’arrivée de Raphaël et de ce que Louis nomme “l’idéalisme factice” : “La peinture n’est plus qu’un tas de mensonges, maintenant ! À la confrérie, nous voulons peindre Jésus avec les pieds sales, Joseph avec une verrue au menton. En un mot, nous voulons peindre la réalité, et non sa représentation terne et insipide sur fond noir. Nous voulons donner vie à nos sujets, vous comprenez ?
-Oui, mais si vous tenez tant à peindre chaque détail de la manière la plus réaliste, la plus exacte possible, pourquoi choisissez-vous des scènes idéalistes ?
-Je ne vous suis pas”, répond-il en fronçant les sourcils.
Elle désigne un tableau qui montre un chevalier offrant un bouquet de fleurs à une servante aux pieds nus visiblement énamourée. “Et bien, croyez-vous qu’un tel chevalier existe ? Ne devriez-vous pas représenter des scènes plus ordinaires, plus vraisemblables, pour servir votre style pictural ? Représenter l’amour tel qu’il est réellement ? De pauvres filles abandonnées par leurs amants (contre son gré, elle pense à Rose), des enfants affamés dans la rue ? Il me semble qu’il y a assez de réalité à Londres, assez de vie et d’honnêteté…” (p.118)
En revanche je ne peux pas dire que je me soit beaucoup attaché aux personnages. Si Louis est sympathique et Albie attachant, Iris m’a paru assez capricieuse, quant à sa sœur je l’ai trouvé détestable. Le plus amusant c’était sans doute de côtoyer les peintres ayant vraiment existé. Et il était très intéressant de voir évoluer une femme dans ce milieu très masculin.
Ils sont six convives, installés autour de la table vernie : William Holman Hunt, Johnnie Millais, Gabriel Rossetti, Lizzie Siddal, Iris et Louis. Les autres membres de la FRP – William Rossetti, Thomas Woolner et Frederick Stephen – étaient pris. (p. 212)
→ la fabrique de poupées sur le site de l’éditeur
→ sur Amazon, Decitre ou chez votre libraire préféré
Avec cette lecture je participe également au challenge A year in England. et Lire au féminin
Je l’avais emprunté il y a quelques temps à ma médiathèque, mais j’avoue que je l’ai assez vite reposé, finalement pas dans l’humeur de ce type de roman. Vu ce que tu en dis, surtout sur le début assez lent et glauque, il ne sera pas dans mes priorités, mais je vais le laisser dans ma liste d’envies médiathèque, ça pourrait quand même me plaire !
PS : merci je passe mon tour pour les repas bizarres à base de cartilage et de graisse de bœuf !
oui, la première partie ne m’a vraiment pas fait envie mais je suis contente de m’être forcé un peu parce que la suite du livre était très sympa
bravo pour les illustrations de l’article!
Quelle atmosphère particulière ! J’avoue que ça m’intrigue malgré tout. Je note pour la médiathèque.
Il me tentait énormément et puis, je ne sais plus trop, à force de lire des billets… J’attendrai de voir si l’occasion se présente… Bonne semaine, Bidib !
l’occasion se présentera quand ce sera le bon moment 😉
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