Arte, un manga à la Renaissance

3 octobre 2015 9 Par Bidib

Voici mon premier billet rentrée littéraire, et je vous parle manga. Parce que justement après la rentrée il faut se changer les idées avec quelques lectures légères. Attention, légère mais pas stupide 😉

Je vais donc vous parler du premier tome de Arte, un nouveau seinen de Kei Ohkubo paru fin août chez Komikku.

lire un extrait

Arte, jeune fille d’une famille de petite noblesse florentine du début du XVI, est éprise de peinture. Ce qu’elle aime c’est dessiner, son père l’a toujours encouragée dans cette voie et lui a permis de prendre des cours auprès de différents instructeurs. Mais maintenant que son père est mort, sa mère veut à tout prix qu’elle cesse avec ses lubies et qu’elle s’inquiète de ce qui est vraiment important : trouver un mari !! Avec la mort du père la famille risque de se retrouver sans le sous et la mère pourra alors difficilement constituer une dote permettant un beau mariage, voilà pourquoi il faut se dépêcher. Mais Arte n’a que faire d’un beau mariage, ce qu’elle veut s’est devenir peintre. Une fille, et de bonne famille en plus, dans un atelier de peintre ? Mais vous n’y pensez pas ! Rien ni fait, elle veut tentes sa chance. C’est ainsi qu’elle se met à parcourir tous les ateliers de Florence en vain jusqu’à ce que ses pas la mènent à l’atelier de Léo, peintre solitaire travaillant sans apprenti. Plus encore que son talent, c’est la ténacité de la donzelle qui séduit le beau et ténébreux Léo. Celui-ci décide, contre toute attente (enfin pas la notre, celle de l’héroïne) de la prendre comme apprenti. C’est ainsi que commence une nouvelle vie de dur labeur pour Arte qui devra faire sa place dans un monde d’homme.

Si vous suivez ce blog vous avez l’habitude de me voire contredire les avis enthousiastes. Arte ayant reçu son lot d’éloges à sa sortie elle ne va pas échapper à cette tradition. Je l’ai trouvé très plaisant à lire mais pas de quoi s’extasier ! Faut dire que je ne m’extasie que très rarement, voire jamais…

Revenons à Arte. Pourquoi je ne m’extasie pas. Parce qu’il n’y a là rien d’étonnant, de révolutionnaire ou de particulièrement original, les ingrédients indispensable à l’enthousiasme me semble-t-il. Est-ce à dire qu’il n’y a rien qui vaille la peine dans ce titre ? Mais pas du tout ! Je précise juste qu’il n’est pas nécessaire de s’extasie dès qu’on nous sort un bouquin sympa. Si on fait bien sa sélection et qu’on se montre exigent on fini par lire pratiquement que des livres sympa. Arte en fait partie.

Si le cadre peut paraitre original (quoi que pour moi très familier ^^) le dessin de Kei Ohkubo est en revanche très classique. Joli, soigné, avec un beau travaille sur les détails, mais il est un peu trop “mignon” et naïf à mon goût.

Et naïf l’est aussi le propos. Je m’explique : l’auteur utilise un contexte historique et géographique lointain pour traiter d’un sujet qui reste (malheureusement) toujours d’actualité : la discrimination des femmes dans le monde du travail. Oui, je pense que le sujet n’est pas tellement l’art mais plutôt le désir d’Arte de s’imposer dans un métier qu’on lui interdit à cause de son sexe. Elle refuse d’être l’esclave de son mari. Très beau discourt, beau personnage à la forte personnalité, qui a la naïveté et la fugue de la jeunesse. Là dessous rien à redire. Ce qui me dérange c’est l’amalgame que l’auteur fait entre femme et femme de bonne famille, le métier de peintre et le travaille tout court. A en croire Kei Ohkuro aucune femme ne travaillait au XVI. Soyons sérieux, les femmes et les filles de paysans, de boulanger, de tavernier et que sais-je encore travaillaient comme tout un chacun ! Il y a même des métiers exclusivement féminin comme sage-femme, fileuse, brodeuse… Il n’y a que les femmes d’ascendance noble qui pouvaient se permettre de passer leurs journées à se tourner les pusses ! Voire une femme pousser une charrette avec des planches de bois ne devait étonner personne, ce qui est étonnant c’est que ce soit une femme noble qui le fasse. Dans les campagnes les fermières devaient soulever des charges bien plus lourdes que celles d’Arte et manier les outils sans doute aussi bien que leur mari. Cette généralisation donne un côté surfait au contexte historique qui par ailleurs est assez bien travaillé. On voit par exemple Arte se déguiser en homme pour assister à une dissection. Il est vrais que les femmes n’avaient pas le droit d’assister à ces scènes, ni de s’inscrire à l’académie pour y apprendre l’anatomie et le nu.

Passons sur cette tendance typiquement mangaèsque à vouloir toujours trop en faire, disons que c’est pour appuyer son propos (au risque de le rendre moins réaliste) et concentrons nous sur l’histoire et les personnages. Là encore, s’ils sont très plaisants, ils n’offrent aucune surprise (du moins dans ce premier tome). Arte va a l’encontre de la pensée de son époque en voulant s’émanciper et vivre par elle même dans un monde où la femme appartient littéralement à l’homme. Il lui faut du courage et aussi un brin de folie pour s’entêter dans cette voie. Sa forte volonté mêlée de naïveté et d’inconscience la rendent sympathique et touchante. Elle est jolie, elle est drôle , passionnée… enfin c’est une héroïne de manga quoi ! Elle se caractérisent presque toutes par la force de leur volonté. En cela Arte ne se distingue pas particulièrement de ses collègues. Parlons de Léo, beau et ténébreux, gentil et brusque, attentionné mais dur… bref aussi cliché que sa donzelle. Tout comme leur relation qui fini par prendre l’inévitable chemin de la relation entre les deux personnages principaux d’une histoire. Et là j’étais un peu déçue. Pour quoi ajouter du cliché au cliché ? Une belle relation maître-élève aurait été plus intéressante et surtout aurait d’avantage servi le propos de la femme libéré qui a soif d’indépendance. Or ici il semblerait qu’aucune femme, même la plus déterminée, ne puisse échapper à la romance l’eau de rose.

C’est cette accumulation de lieux communs qui ont gâché mon enthousiasme face à ce titre qui par ailleurs propose un cadre très intéressant et peu traité : la renaissance italienne et sa vie quotidienne. Ceci dit le manga reste très plaisant à lire. Comme j’ai dit plus haut le dessin est très joli et soigné, les personnages sont sympathiques et touchants. Et si les grandes lignes de l’aventure n’étonne en rien, l’intérêt (selon moi) réside surtout dans la découverte de la vie dans le Florence du XVI siècle et du fonctionnement des ateliers de peintre. Si nous connaissons tous des grands noms de peintre de l’époque, que savons nous de la façon dont ils travaillaient ? Un jolis titre qui ne vous étonnera peut-être pas mais qui vous amènera faire un beau voyage. Envie d’embarquer ?

challenge 1% – sortie fin août – lecture 1/6


Le coin de curieux :

Florence

Le manga prend comme décor le Florence du XVI siècle, en Italie… mais connaissez-vous Florence ? Non ? Faut absolument y aller !! Je vais pas ici m’étaler mais je vous met une toute petite vidéo de 4 minutes rien que pour vous donner un aperçu.

J’ai pris plein de photos lors de mes derniers voyages, si un de ces jours je trouve le temps je vous ferais peut-être un article.

Florence début XVI (Lucantonio degli Uberti)

Les femmes peintre de la renaissance italienne.

Si les femmes exerçant le métier de peintre étaient rares, elle n’étaient pas pour autant inexistante. J’ai fait quelques recherches pour découvrir quelques collègues d’Arte :

Artemisia Lomi Gentileschi (Rome 1593 – Naples 1652)

autoportrait

Artemisia Gentileschi est celle dont l’oeuvre m’a le plus séduite. Fille de peintre (Orazio Gentileschi) elle apprend la peinture dans l’atelier du paternel  elle signe son premier tableau dès l’âge de 17 ans : Suzanne et les vieillards. Ne pouvant pas accéder au Beaux-Arts réservé aux hommes, son père l’envoie en apprentissage chez un autre peintre, Agostino Tassi, qui la viole. S’en suit un procès durant lequel est elle est torturé pour vérifier ses dires (c’était sympa à l’époque d’être une femme). Cette terrible expérience marque sa peinture d’où ressort une certaine violence. Peu après la fin du procès, son père la marie à un modeste peintre de Florence où elle s’installe en 1614. Elle est la première femme à intégrer l’Académie de dessin de Florence. A Florence elle est sous la protection des Medicis. Malgré son succès elle est criblée de dette à cause de son maris et décide de quitter Florence à la mort de Cosme II, son protecteur. Après un retour à Rome, elle s’installe à Naples où elle meurt vraisemblablement emporté par la peste.

Judith décapitant Holopherne – 1612-14

 

Liviana Fontana (Bologne 1552 – Rome 1614)

Autoportrait au clavecin – 1577

Avant Artemisia d’autres femme ont excercé le métier de peintre. C’est le cas de Liviana Fontana, originaire de Bologne, qui comme Artemisia était fille de peintre. Elle a aussi appris la peinture dans l’atelier de son père avant d’en épouser un autre (Severo Zappi), elle commence à signer des œuvres sous le nom de son mari avant que celui-ci ne cesse son activité de peintre pour devenir l’assistant de sa femme. Comme beaucoup de femmes peintres elle se fait un nom comme portraitiste mais chose moins commune elle reçoit également d’autre commande comme des scène mythologiques. Elle fut nommée peintre de la cour par le pape Clément VIII qui la fit venir à Rome.

portrait d’une femme nobme – 1580

Sofonisba Anguissola (Crémone 1535 – Palerme 1625)

autoportrait – 1556

En remontant encore un peu le temps on tombe sur Sofonisba, contrairement aux deux précédentes peintres, sa carrière se cantonna à la production de portrait mais je la trouve intéressante par sa ressemblance avec Arte. Alors que les deux précédentes femmes sont née de père peintre et on grandi dans un atelier (seule façon pour une femme de pouvoir y entrer à l’époque) Sofonisba est née dans une famille de petite noblesse et elle est encouragé par son père à étudier les arts qui la fait étudier auprès de divers peintres. Là ressemblance s’arrête là. Son père, tel un véritable agent essaye par tous les moyen de faire connaitre et reconnaître le talent de sa fille et lui obtient enfin une place à la cour du roi d’Espagne où elle devient dame de compagnie de la reine à qui elle enseigne le dessin. A cause de son statut de dame de compagnie et noble elle ne peut ni signer ni vendre ses toiles (choses que peuvent faire les peintre de court). Elle reçoit néanmoins une belle rente qui sera bien sûr encaissée par le père puis par le frère (faut pas déconner, c’est qu’une femme ! Vive l’égalité des droits à la renaissance…). A la mort de la reine elle se marie deux fois et continue de peindre jusqu’à sa mort. Contrairement aux deux précédentes peintres bien que très talentueuse et reconnue pour son art Sofonisba n’exercera jamais le métier de peintre comme on l’entend à l’époque.

portrait de famille – 1557

Elisabetta Sirani (Bologne 1638 – 1665)

autoportrait – 1658

Elisabetta est fille de peintre. Elle étudie dans l’atelier paternel avec ses sœurs avant de reprendre et diriger l’atelier quand le père, atteint d’arthrite, est obligé d’arrêter la peinture. Elle ouvre son atelier aux femmes, chose inconcevable à l’époque (ça on avait bien compris, mais c’est pas les exceptions qui manquent 😉 ). Devenue apprentie à 13 ans, elle reçoit non seulement des commandes de portrait mais aussi pour des œuvres religieuses et mythologiques. Elle mourut très jeune sans s’être marié.

allégorie de la musique – 1659

Il en existe bien d’autres, mais je vais m’arrêter là. N’hésitez pas à partager vos trouvailles

Sources :

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