Le Théâtre Nô – Zeami
Deuxième volet d’une trilogie dédié au Théâtre Nô
Le théâtre Nô – une introduction
Zeami
L’auteur du drame Atsumori est Zeami (1363-1343), connu aussi sous d’autre noms de plume, comme Zeami-dabutsu, Zea ou Kanzei. Son père, Kan.ami (1333-1384) venait d’une famille de prêtres shintô de la région de Nara et dirigeait une troupe de dengaku nommée Kanzei-za. Kan.ami, le premier à façonner le sarugaku no nō, était un homme à l’esprit ouvert, capable d’intégrer dans son art des aspects appartenant à d’autres genres. Il rénova et modifia certains cotés du dengaku et sarugaku, tels le monomane (pantomimes comiques), qu’il arriva a tempérer et réformer.
Il s’appropria aussi le concept de yūgen, traduit le plus souvent par « charme subtil », qui deviendra l’essence esthétique du nō et qui sera par la suite développé par son fils. Le terme était déjà utilisé vers la fin de l’époque de Heian dans le renga, pour indiquer une beauté dépourvue de vulgarité. La poésie du XIII employait ce terme pour indiquer la grâce. On pourrait aussi le traduire par beauté obscure, difficile à saisir. En ce qui concerne les arts de la scène, on trouve ce terme en relation au sarugaku de la province de Omi, qui le prisait par-dessous tout (à la différence du sarugaku de Yamato qui, tout en partageant le concept de yūgen, donnait plus d’importance aux événements et rebondissements de la pièce).
Dans la poétique de Zeami, le yūgen est intégré au nō et en devient une sorte de canon. C’est l’élément portant de l’art, celui qui entraîne le spectateur. Bien que impossible à définir de façon précise, le yūgen pour Zeami devait être rare (mezurashi) et saisissant (omoshiroshi).
En 1347, Kan.ami et sa troupe ont le privilège de s’exhiber devant le jeune shōgun Ashikaga no Yoshimitsu. La pièce choisie pour l’occasion est Okina, dont le personnage principale (le vieillard) fut interprété par Kan.ami lui-même. Le shōgun fut fasciné par ce nouvel art et par la performance de Zeami, âgé alors de onze ans. Il en fit son protégé et prit la troupe du père sous sa protection.
C’est depuis cette représentation restée célèbre que ce genre de théâtre a pris le nom de nō. A la différence des troupes d’autre formes théâtrales, liées aux sanctuaires et employé lors de célébrations religieuses, celle de Kan.ami réussit à s’affranchir de ce coté religieux.
Zeami put assister son père dans le développement du genre et jouir d’amitiés très stimulantes, comme celle qui le lia au poète Nijō Yoshimoto, son maître en poésie. Encore jeune, il dut cependant endurer le deuil de ses deux mentors. Son père le quitta en 1384 et Nijō mourut quatre ans après. Dans la même période, se relation avec le shōgun s’effrite, sans pour autant s’arrêter.
En 1395 Yoshimitsu abdiqua en faveur de son fils Yoshimochi (1386-1428) et se fit moine, mais il resta une figure de relief au gouvernement jusqu’en 1408, année de sa mort. Zeami perdit ainsi son protecteur le plus puissant, car Yoshimochi lui préférait un autre artiste. Cependant, ces années s’avèrent très fertiles. Entre 1413 et 1434, Zeami écrit treize des traités qui lui sont attribués, et deux livres.
En 1422 Zeami se fit moine suivant l’école zen Sōtō-shū et laisse la troupe à son fils Kanze Motomasa. En 1428 Yoshimochi mourut et fut succédé par son frère Yoshinori (1394-1341). Ce dernier était passionné de sarugaku et détestait ouvertement Zeami et Motomasa. Motomasa mourut en 1432 et, pour des raisons qui nous sont inconnues, Zeami refusa de nommer son autre enfant, On.ami, à la tête de la troupe. En 1434, Zeami fut exilé sur l’ile de Sadō pour des raison inconnues. Il fut pardonné peu d’années avant sa mort. Il termina sa vie auprès de son beau-fils, Konparu Zenchiku (1405-1468), auquel il laissa la direction de la troupe.
Zeami nous laisse dix-neuf essais sur son art, dont le plus connu est le Fushikaden (De la transmission de la fleur de l’interprétation), dans lequel on peut lire l’enseignement de Kan.ami enrichi par l’expérience de Zeami. On lui attribue aussi 90 pièces, dont 21 seulement sont clairement de sa main.
L’œuvre de Zeami est fortement empreinte de Bouddhisme Amidiste. Le but de son art, comme dit La lande des mortifications, était d’attirer le spectateur, apaiser son cœur et le rassurer sur la vie future. Dans une optique typiquement amidiste, tout passe : la joie aussi bien que la douleur, le bien et le mal. Dans ses pièces il met en scène la beauté éphémère ou le déchaînement des souffrances humaines, car si le théâtre est fait pour délecter le spectateur, le but finale est la délivrance des illusions, l’apaisement des passions.
Dans La tradition secrète du nō (traduit par René Sieffert), Zeami raconte les origines mythiques du sarugaku no nō, un passage montre bien le rôle et la finalité que cet art se donnait :
[Shōtoku-taishi] à un moment où l’Empire connaissait quelques troubles, se référant aux précédentes fastes de l’age des dieux et de la Patrie du Bouddha, commanda 66 mimes à ce [Hata no] Kōkatsu1 .
Kōkatsu était un légendaire sculpteur de masques. On peut constater ici la vocation ultime de l’art : modérer le désordre. Le nō avait, pour Zeami, une grande dimension rituelle. Cela rendait possible de saisir l’infiniment petit aussi bien que l’immense.
Dans la pièce que nous allons analyser (dans le prochaine article), la beauté passagère, les plaisirs inconstants, la souffrance des morts et des survivants sont présents, aussi bien que la foi dans le Vœux miséricordieux de Amida, source de répit et secours pour tous les êtres.
1Cité dans ZEAMI et d’autres, La lande des mortifications, 25 pièces de nō, traduit par GODEL Armen et KANO Koichi, Éditions Gallimard, 1994, Paris, p. 1-25
Article rédigé par Tenger et mis en forme par Bidib