Histoire couleur terre
C’est amusant de constater comment le même livre ne nous laisse pas la même impression selon la période à laquelle on le lit. C’est exactement le sentiment que j’ai eu en relisant quelques années après une première lecture dont je gardais un fabuleux souvenir Histoire couleur terre de Kim Dong-Hwa (Casterman). Je vais tenter de vous présenter cette courte série en 3 tomes en tenant compte à la fois de mes souvenir lointains et de mon ressenti actuel.
une histoire couleur terre :
L’histoire c’est celle d’Ihwa et de sa mère. Ihwa a sept ans, elle vit dans un village de la campagne profonde coréenne, sans doute au début du siècle dernier, seule avec sa mère, une veuve qui tient la taverne du village.
Pourquoi couleur terre ? Parce que c’est à la campagne que ça se passe, là où ce sont les saisons qui dictent leur rythme aux hommes. Le rythme des saisons on le retrouve dans le récit qui fait la part belle aux fleurs, chacune d’etre elle venant signifier le début d’une saison mais aussi une nouvelle étape dans l’évolution de la petite Ihwa. Le livre s’ouvre sur ses sept ans. Elle se demande pourquoi les garçons ont un piment entre les jambes et pas elle. Auprès de sa mère elle va apprendre ce que c’est qu’être une femme. Elle grandie et nous la voyons s’ouvrir au monde, grandir et découvrir les premiers émois amoureux jusqu’à rencontrer l’homme qui deviendra son mari. La série se clos sur son départ de la maison maternelle. C’est un peu comme voir une rose fleurir, du bouton à la fleures épanouie, on observe les différentes étapes de cette floraison.
Un goût doux-amère
C’est la beauté et la délicatesse du dessin, la poésie fleurie du propos qui m’avaient marqué. Je gardais un merveilleux souvenir de cette lecture et c’est avec grand plaisir que je me suis engagée à le relire pour une lecture commune avec l’équipe k.bd. Pourtant à l’heure où j’écris ces lignes je ne suis pas inspirée et j’avoue que sans l’engagement pris aux près de mes camarades k.bdéens je n’aurais sans doute pas pris la peine de le chroniquer. Non pas parce que je n’aime pas, au contraire ! Mais plutôt parce que cette dernière lecture me laisse en bouche un goût plus amère. A la beauté et la poésie c’est substitué une vision archaïque de la société et de la femme où celle-ci n’existe que pour plaire aux hommes.
Sans doute au moment de ma première lecture je ne resentait pas le besoin de revendiquer mon féminisme. Depuis l’eau à coulé sous les pont, une eau boueuses pollué par des manifs pour tous qui m’a fait prendre conscience que ce que je prenais pour acquis ne l’est en fait pas du tout. Je ne peux donc pas m’empécher de resentir une certaine aversion pour tout discours qui tendrait à cantonner la femme dans un rôle aussi inisgnifiant que celui de plaire à son mari.
Bien sur Kim Dong-Hwa nous parle avec beaucoup de poésie des femmes, il souligne avec maestria leur beauté et leur délicatesse, il nous montre leur force. Mais la force dont il parle c’est le fait d’accepter des conditions de vie difficiles, d’accepter de n’avoir d’autre choix que le mariage et une vie dans la belle famille souvent très dure (traditionnellement en Corée, la jeune marié part vivre dans la famille de son époux et ne peux rendre visite à sa propre famille qu’une ou deux fois par an). Elles sont belles, elles sont douces et fortes, mais elle acceptent le statu quo d’une tradition archaïque sans même ciller. Prends ton mâle en patience, pourraient-elles dire.
Et si cette fresque des femmes coréennes des campagnes du début XX est très belle, je ne peux résolument pas m’identifier à ces femmes. A aucune d’entre elle. Je m’interdit même la faiblesse de me reconnaître dans certains de leurs gestes ou certaines de leur paroles. Paroles qui pourtant sonnent très vrais (est-ce pour cela que je me braque ? Est-ce parce que de nos jours encore nombre de jeune femme s’inquiètent à se point de trouver chaussure à leur pieds ? moi je préfère apprendre à marcher pieds nus !).
Voilà pourquoi je n’avais pas envie d’écrire sur Histoires couleur terre, du moins pas aujourd’hui. Ma révolte l’emporte sur la beauté et de cette deuxième lecture je retiens surtout une vision archaïque de la femme et de ses inquiétudes toutes tournées vers l’homme et le sexe. Parce que soyons franc, même si c’est avec beaucoup de poésie, ce livre ne parle que de sexe.
Ceci-dit n’exagérons rien, Kim Dong-Hwa nous présente certes des femmes qui se plient aux traditions mais qui sont (dans la limite du respect des dites traditions) libres et indépendantes. La mère d’Ihwa par exemple, bien que veuve, ne s’est jamais remarié et élève seule son enfant, repoussant les avances des clients et ne gardant son cœur (et son corps) que pour l’amant qu’elle s’est choisi.
Laissons couler encore de l’eau sous les ponts, peut-être que lors de ma troisième lecture je serais libéré de ma révolte et que je pourrais lire à nouveau se beau manhwa et profiter de sa poésie sans m’offusquer du reste. Car malgré tout cette série est magnifique, le dessin épuré et pourtant riche en détails est d’une grand beauté. J’aime également le texte qui avec ses nombreuses métaphores fleuries nous amène dans l’univers de ces femmes coréennes. Une très belle série.
Pour en savoir plus sur la série allé sur le site de l’éditeur, sur Manga News et Manga Santuary.
A lire aussi les avis de Yvan, Lunch et Badelel
Ce que tu écris est très intéressant, ton ressenti entre tes deux lectures a évidemment changé et merci de l’argumenter ainsi. Mais il n’est peut-être pas nécessaire de s’identifier pour apprécier, si ? On peut ne pas être d’accord avec ce qu’on lit, être même révolté par ce qui nous est raconté mais apprécier la façon dont ça l’est…
Merci pour ton commentaire 🙂
Oui, même sans s’identifier on peut apprécier la beauté d’un récit, et ce que j’ai fait. Mais j’ai moins apprécié que lors de ma première lecture où je n’avais pas ressenti révolte face au propos.
Et puis on se sent plus proche des personnages quand on peut s’identifier à eux, non? Il y a une scène où la mère dit une chose qui aurait pu sortir de ma bouche, cette scène m’a beaucoup touché, justement parce qu’à ce moment là j’était cette mère. Et oui, il y en a quand même une de scène où je me suis identifié 😉
Au fait je pense que ce qui m’a dérangé dans ce récit ce n’est pas tellement la condition sociales des femmes (à l’époque c’était comme ça c’est un fait) mais plutôt la candeur avec laquelle c’est présenté. A un moment on nous dit combien la vie des jeune marié peut être difficile dans sa belle famille, mais c’est tout. A aucun moment on envisage qu’un mari puisse être un mauvais mari par exemple, il n’est jamais question des violences faites aux femmes. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleurs des mondes. Or si cela n’epèchait pas d’être heureuse même à l’époque (le bonheur est un état d’esprit plus qu’autre chose) il y avait des femmes pour qui la vie pouvait être très dure, marié de force à je ne sais qui.
Dans le récit il y a une jeune fille qui est marié de force à un enfant de 9 ans. Tous la plaignent parce que… la pauvre, elle va pas pouvoir consommer sa nuit de noce! Sérieux !? Je crois que copuler c’est le cadet de ses soucis. C’est cette vision angélique et nostalgique du passé qui m’a agacé. Mais cela n’empêche pas l’ouvrage d’être magnifique. J’adore le trait de Kim Dong-Hwa qu’ici est encore plus beau que dans La bicyclette rouge
Je crois que je comprends : ce qu’on trouve révoltant, ou juste dérangeant, on aimerait bien que ça ne soit pas présenté comme allant de soi.
En tout cas merci pour cet article (et cette réponse argumentée) : je n’ai encore jamais lu de manhwa et tu m’aides à y voir plus clair.
il y a de très belles choses en manhwa et on trouve de bon titre en bibliothèque, je ne peux que t’inciter à jeter à œil à l’occasion 🙂
Ton ressenti est très intéressant, je confirme, même si je ne le partage pas ^^
Je n’ai même pas été choqué par cet épisode du mariage de la fille de 9 ans. Certes si on replace dans notre société et notre époque, c’est choquant et j’en serai le premier révolté. Mais… je me suis complètement laissé transporter par le récit et j’avoue que ce trait de « révolte » m’est passé totalement à côté. Je me suis laissé bercer par la douce poésie de l’auteur, vers cet ailleurs envoûtant et bien loin de nos considérations. Parce que ce qui ressort avant tout c’est que mère et enfant sont heureuses et cette joie est contagieuse.
je ne trouve pas que ce soit loin de nos considérations. Ou alors je ne comprends pas ce que tu veux dire par là
Ce qui m’a choqué dans l’épisode de la jeune femme qui est marié à un enfant ne me choque pas dans le sens du mariage arrangé, ça c’est un constat. A l’époque c’était comme ça. Et comme je l’ai dit dans mon texte, le bonheur est un état d’esprit, on peut être heureux malgré les condition de vie difficile. Ce qui me choque c’est tout le discours sur le fait que la pauvre enfant ne pourra pas avoir de relation sexuelle avec lui. Il y a la rien de poétique pour le coup. Mais c’est une scène sur trois tomes d’histoire, elle illustre mon propos mais n’est pas le reflet de tout le manhwa. Il y a des moment très beau et très poétiques
Il me semble que ça arrive aussi dans Bride Stories et j’ai pas le souvenir de quelqu’un qui s’offusque pour un mariage arrangé avec un jeune prépubère 🙂
Ce sont des coutumes lointaines. Nous n’avons pas la même façon de penser selon nos origines. Pour toi qui lis du manga, tu sais qu’un japonais (par exemple) ne raisonne pas pareil qu’un européen. Nous n’avons pas le même sens du devoir, nous n’avons pas la même culture, nous n’avons pas la même histoire.
Effectivement cela arrive aussi dans Bride Stories et contrairement à toi j’ai lu beaucoup de réaction de gens qui s’en offusquent. Moi je ne me suis pas offusqué cependant. Expliquer dans le détail pourquoi ça me serait difficile puisque j’ai lu Bride stories il y a longtemps. Je ne m’était pas offusqué de Histoires couleur terre à l’époque non plus.
Au risque de me répéter, si je m’offusque aujourd’hui ce n’est pas seulement (j’ai presque envie de dire « pas tant ») à cause du propos d’Histoire couleur terre mais à cause de la société dans laquelle je vis, moi aujourd’hui. Le monde que je croyait progressiste ne l’est en fait pas du tout. Il y a même régression je trouve que ce soit concernant l’égalité des sexe ou le respect des diverses tendances sexuelles etc. Là je sort complètement du cadre du manhwa en question. Pourtant c’est la raison principale de ma réaction. Dans un monde de respect et d’égalité je n’aurais à m’offusque d’un récit mettant en scène une autre époque, d’autres mœurs. Mais malheureusement ce n’est pas le cas. Et la baffe que je me suis prise est si grande que je n’arrive pas à me remettre, je suis toujours en état de choc. La conséquence première de cette prise de conscience de ma part est que je ne peux plus profiter avec insouciance de certains récit, que je ne peux plus rester sans rien dire devant des propos en apparence anodins. Justement parce qu’ils sont anodin ! Je veux dire par là que partout tout le temps on dit, on lit et on entends des choses anodines qui sont en réalité du sexisme. Et moi je suis devenue allergique. Ma réaction en est devenu exagéré, j’en suis consciente, mais la faute à qui ? (Je vous dit pas la crise quand ma fille m’a dit que j’étais pas une femme parce que les vraie femmes ont les cheveux long…)
Pour revenir à nos moutons (ou plutôt à nos manga) ce n’est pas le fait qu’il y ai des mariage arrangé qui me dérange (et là encore je me répète mais je crains de ne pas m’être fait comprendre). La société décrite est différente de la notre. très bien, pas de soucis la dessus, c’est comme ça et puis c’est tout. Mon questionnement est sur la façon de traiter la question, pas sur les fait eux mêmes. Je ne suis absolument pas choqué par le fait qu’il y ai un mariage arrangé, mais par le fait que l’auteur s’en amuse et ramène ça a un problème de sexe. Au fait j’ai eu l’impression que tout est ramené au sexe en permanence. Si parfois c’est drôle et souvent poétique, il y a des moment ou c’est too much
Dans Bride stories le mariage en question n’est pas traité de la même façon.
Après, il y a beaucoup de choses qui sont due effectivement à une culture différente et que je ne partage pas forcement mais que je peux comprendre et même apprécier. Ce que je voulais dire c’est juste que dans ce titre Kim Dong-Hwa semble accepter un état de fait inacceptable et passer le message suivant « oh vous les femmes, prenez votre mal en patience, c’est comme ça qu’on vous aime » Du moins c’est l’impression que j’ai eu.
Et puisque tu parle du manga et de la culture japonaise, j’ajouterais justement que la relation homme/femme dans les manga, surtout dans les manga pour fille me gène beaucoup. La femme/jeune fille y était justement souvent cantonné à un rôle à mon sens complètement dépassé. Et dire « la culture japonaise est différente de la notre » ne me semble pas acceptable. Moi je suis pour l’émancipation de toutes les femmes, pas seulement des occidentales. Je ne trouve pas sain d’apprendre au jeune collégiennes japonaises qu’une fille DOIT faire à manger pour l’élu de son cœur, ou qu’elle DOIT tout accepter au nom de l’amour (ne parlons pas du viol…). Je préfère les histoire où les femmes prennent le pouvoir sur leur vie. Et les femmes japonaise aussi se battent au quotidien pour obtenir plus d’égalité notamment au sein du travail. D’ailleurs j’ai très envie d’en apprendre plus sur le mouvement féministe japonais histoire d’amener un peu d’eau à mon moulin
J’espère que j’arrive à me faire comprendre ^^ le sujet est un peu délicat et j’ai pas les mots pour exprimer correctement ma pensée
Tu exprimes très bien le fond de ta pensée, ne t’en fais pas pour ça 🙂
Je n’ai rien à opposer à ton argumentation qui se tient tout à fait et qui est cohérente. Je suis pour l’égalité (non pas des sexes mais) des hommes (homme au sens de l’humain), que ce soit par rapport aux discriminations de sexe, de handicap ou d’origine, etc. Je ne suis pas militant pour autant et je pense que nous devons aussi être tolérants envers les autres cultures. Le propos de l’auteur m’aurait gêné s’il avait été tenu avec véhémence mais il me semble surtout totalement apaisé et raconter les meurs tels qu’ils le sont vraiment dans son pays, sans arrière pensée aucune.
Et puis je trouve dommage aussi que tu sois à ce point sortie de ce beau récit plein de poésie 🙂
Oh ne t’en fait pas, je peux m’enrager et me régaler au même temps tu sais 😉 J’ai pleinement profité de la poésie. Je tenais juste à faire parte des deux resenti
Et tu fais bien, car c’est très intéressant 🙂
Il est à la médiathèque, je le lirai histoire de me faire une idée !
j’espère qu’il te plaira. J’attends ton avis 🙂
[…] ⇒ ma chronique […]
Je me ferais bien mon propre avis.
moi j’aime vraiment cet auteur que je trouve plein de tendresse et de poésie