Le cœur de Thomas
Le cœur de Thomas est une des œuvres fondatrices du boys-love, que nous appelons en France yaoi. Si on veut être pointilleux il s’agit d’un shonen-ai, autrement dit un récit mettant en scène des histoire d’amour entre jeunes éphèbes en tout pudeur. Dans le shonen- ai, les relations amoureuses y sont très chastes voir platonique.
Ce manga de Moto Hagio date de 1974/75 (France chez Kazé Manga en 2012). Avec Poe no ichizoku (même auteur, même époque) et Kaze To Ki No Uta de Keiko Takemiya il est considéré comme l’une des œuvres fondatrice de ce nouveau genre qui voit le jour dans les années 70. Le shonen-ai permet alors aux auteurs d’exprimer ce qui ne peut-être dit dans le shôjo classique où subsiste encore un certain tabou. En utilisant des personnages masculin pour leurs histoires, les auteurs bénéficient d’une plus grand liberté expression notamment du point de vue de la sexualité (pour en savoir plus sur le yaoi lire Manga 10 000 images – Homosexualité et manga : le yaoi). Les magazines spécialisé n’existent pas encore (le premier, June, verra le jour en 1981) Le cœur de Thomas parait dans le magazine Shôjo Comic. Voici pour ce qui est du contexte, passons dans le vif du sujet.
Je t’aime, moi non plus. Tout un mélodrame :
L’histoire commence avec le suicide de Thomas, un jeune garçon étudiant dans un pensionnat pour garçon quelque part en Allemagne vers la fin du XIX siècle.
En six moi, j’ai beaucoup réfléchi. A ma vie, à ma mort. A un amis aussi.
Je ne suis qu’un enfant un peu plus mûr que les autres, je le sais. Et je sais bien que cet amour d’enfance va se heurter à quelque chose d’inconnu, quelque chose qui n’a pas de sexe, invisible.
Non, ce n’est pas un simple pari. Et ce n’est pas mon sentiment pour lui qui est en jeu. Mais je ferais en sorte que lui ne puisse faire autrement que m’aimer. Forcément.
Pour le moment il ne vit pas, ou à peine. Et si, pour lui donner la vie, je dois détruire mon corps, cela m’est totalement égal.
L’homme meurt deux fois, dit-on. La première quand son corps meurt, la seconde quand ses amis l’ont oublié.
Moi, je n’aurais pas cette deuxième mort. Il ne m’oubliera jamais, même après sa propre mort. Je vivrais éternellement. Dans ses yeux.
Thomas est mort durant les vacances. De retour au pensionnat tout le monde ne parle que de ça. Un terrible accident dit-on. Pourtant Juli trouve sur le bureau de sa chambre une lettre, la dernière que Thomas lui ai envoyé, son « testament ». Cette lettre va profondément bouleverser Juli, un garçon sérieux et tourmenté. Son camarade de chambre tente en vain de le réconforter.
Les choses s’aggravent lors que Eric arrive au pensionnat. Ce nouvel élève turbulent (et entretenant une relation fusionnelle assez malsaine avec sa mère) ressemble étonnamment au jeune Thomas. Tous sont troublés par cette ressemblance, tout particulièrement Juli qui se met à haïr Eric tout en sombrant de plus en plus dans la dépression.
L’haïr ? Vraiment ? Eric est malgré son penchant pour sa mère, un garçon gai et chalereux. Plein d’énergie et d’entrain qu’il est difficile de l’haïr. Quant à Juli, malgré tous ses efforts pour paraître froid, il est un gentil garçon, tourmenté mais profondément bon. Comment pourrait-il haïr Eric. Et Oscar, le camarade de chambre de Juli, dans tout ça ?
Amour et haine, suicide, tourments amoureux en tout genre, orphelins de père, orphelin de mère et j’en passe. Les personnages rivalisent de mélodrame. C’est à celui qui aura le passé le plus tourmenté, le cœur le plus fragile.
Exaltation de la jeunesse :
Au mélodrame omniprésent s’ajoute l’exaltation de la jeunesse. Les personnages ont entre 12 et 15 ans. Un âge où on ressent tout plus fort. La moindre inclination prend des proportion démesurée comme le suicide de Thomas qui reste pour moi un mystère. Oh ! bien sûr on nous explique tout de suite son geste, mais moi et mon cœur de glace on ne voit là aucune raison d’en arriver à se ôter la vie.
On plonge très vite dans l’ambiance de ce pensionnat qui flore bon le romantisme. On s’attache à ces jeunes gens plein de drames et de vie mais je garde une certaine distance, un détachement vis à vis de leurs malheurs.
Shonen-aï, l’art du too-much :
Pourquoi cette distance ? Trop de mélodrame, tue le drame. Voilà tout. Le mélodrame est trop présent, comme très souvent dans ce genre de « littérature » (oui, je met des guillemets parce que bon appeler ça de la littérature c’est un peu prétentieux), et cela fini par créer une distance entre le lecteur et les personnages. Difficile d’éprouver une réelle empathie pour les personnages. Ou alors cela vient peut être de moi, je ne sais pas. Le fait est que je les ai observé de loin sans trop m’émouvoir de leur douleur.
Finalement le personnage que j’ai le plus aimé c’est celui qui étale le moins sa détresse : Oscar, le camarade de chambre de Juli. Oscar se montre discret dans ses tourments, il est plus mûr que ses camarades, plus fort aussi. J’ai pu me retrouver dans ce personnages qui reste en deuxième plan. Alors que Juli, Eric (et le fantôme de Thomas) qui occupent le devant de la scène sont trop exubérant dans leur malheur pour moi. Pourtant Juli se montre très discret vis à vis de ses camarades. Je parle du lien entre les personnages et le lecteurs, non pas des personnages entre eux.
Un classique :
Néanmoins Le cœur de Thomas est un classique du genre, une des œuvres fondatrice de ce qui deviendra plus tard le boys-love. En tant que tel c’est intéressant de le découvrir. D’autant plus si on peut le resituer dans le contexte éditorial de son époque. Malheureusement mes connaissance en manga et surtout en manga des années 70 sont vraiment insuffisante pour me permettre de percevoir tout ce qu’il représente. Je n’ai pu qu’en apprécier la lecture au premier degré.
De ce côté là j’ai pris bien du plaisir à découvrir ce manga, qui malgré son côté imposant (3 tomes en 1 pour l’édition française) se lis facilement et rapidement. L’esthétique a un côté rétro qui ne m’a pas du tout gêné et qui colle parfaitement au ton dramatique de l’ensemble. Le dessin de Moto Hagio est beau, surtout dans l’expression des visages. Le trait est fin, élégant et subtil. La mise en page est assez dynamique et agréable. Par ailleurs Moto Hagio nous offre une vraie histoire avec une progression et un scénario bien ficelé (mélodramatique oui, mais bien fait). Comme le fait remarquer à juste titre Mei-Amadis dans sa chronique, ce n’est pas du fan-service gratuits pour fan-girl en manque (j’adore cette tournure, je te la pique). Je ne suis pas ressortie de cette lecture bouleversée mais j’ai passé un bon moment. Un classique qu’il faut connaitre.
Petite anecdote en passant, c’est le film Les Amitiés particulières de Jean Delannoy (1964) qui a influencé Moto Hagio et l’a poussé à écrire du shonen-aï et plus particulièrement Le cœur de Thomas. J’ai essayé de le regarder je me suis endormie avant la fin…
Un film, japonais celui-ci, s’inspire de Le cœur de Thomas. Il est réalisé par Shusuke Kaneko et date de 1988 : 1999年の夏休み
à lire aussi :
- une interview de Moto Hagio sur le site d’Animeland
- les avis de Mei-Amadis, A-yin, Aurélien, Madame Fujoshi
- à voir la conférence qu’elle a donné au Centre Pompidou en 2012 (2h de conférence !) dont vous pouvez également lire un compte-rendu sur le blog Animist
- le site de Moto Hagio
J’ai beaucoup aimé cette oeuvre mais je l’ai trouvé plus sobre, dans la mise en page notamment, que Très cher frère par exemple où chaque page se renouvelaient pour en faire plus.
J’ai plus été happé par l’histoire que les personnages en eux même (même si j’ai trouvé la fin abrupte dans le choix de Juli notamment). Par contre, je ne vois pas du tout le coeur de Thomas comme un yaoi ou un shonen-ai, je trouve ça réducteur, pour moi cela va bien au delà de ça. Néanmoins, comme tu le dit, ce manga reste un classique à lire au moins une fois pour se faire une idée.
Je n’ai pas lu Très cher frère.
Concernant Le cœur de Thomas, moi j’ai trouvé la lecture plaisant mais je n’ai pas été happé comme toi. Je trouve que l’histoire est très bien faite mais au fond elle n’est pas très originale, on devine tout d’avance. Je n’ai jamais été surprise, pas même par la décision finale de Juli que contrairement à toi je trouve logique et très bien trouvé (justement parce que l’auteur ne nous amène pas là ou on voudrait, de plus cela colle parfaitement avec le contexte historique, je trouve).
Je ne suis pas d’accord avec toi quand tu dis que dire que Le cœur de Thomas est un shonen-ai ce soit réducteur. Pour être tout à fait exacte c’est un shôjo puisque c’est publié dans un magazine shojo. Mais c’est aussi du shonen-ai parce qu’il y a de la romance entre jeunes hommes. Dire que c’est réducteur c’est réduire le shonen-ai au stéréotype qu’on se fait du genre. C’est comme dire que tous les shojo sont des romance lycéennes (et d’ailleurs ici c’est une romance lycéenne, sombre et torturé mais romance lycéenne quand même ^^). Dans le shonen-ai comme dans tout type de manga on trouve de tout, du simple fan service (malheureusement le plus vendu dans nos contrées) mais aussi des scénarios très complexes, des histoires allant bien au delà de la romance, parlant de tout un tas de sujet varié. Ici c’est le mal-être des adolescent et la violence dans leur univers (suicide, solitude, harcèlement et bien pire…). Je vu des scène de shonen-ai émouvante à pleurer ou personne ne s’embrasse dans un contexte science fiction hyper bien travaillé. Je le qualifie quand même de shonen-aï parce que le récit tourne autour de relation ambiguës amitié/amour entre personnages masculin
Ici on est nettement dans du shonen-aï puisque les relations ambiguës entre les jeunes étudiants sont le centre même de l’histoire, mais le scénario dépasse les simples « amitiés particulières » pour plonger dans les tourments de chaque personnage au delà de ses attirances. Tourments, soit dit en passant, très féminin, même si ce sont des garçon, leur préoccupation et leur façon de réagir est très féminine
Disons que comme pour très cher frère, mon ressentie à la fin de la lecture était plus comme si j’avais lu une nouvelle ou un roman, plus qu’une bande dessinée.
Après le fait de voir les choses arrivé de loin est peut-être aussi dû au fait que de l’eau a coulé sous les ponts depuis la parution et son contenu n’a rien d’inédit.
Alors je me suis mal exprimé. Je dis que je trouve réducteur d’y voir de la romance entre jeunes hommes car pour moi ça n’en ai pas, en tout les cas ça ne se limite pas à ça. Je ne nie pas les rapports compliqués et ambigus entre les personnages mais ce n’est pas juste de la romance. Pour moi il n’y a pas de tension sexuelle homosexuel ou bien romantique, l’amour qui est décrit dans le manga me semble plus être du côté du religieux, de l’universel, dans ce que l’amour peut transcender (d’ailleurs il me semble qu’il est plusieurs fois mention à Jésus et que le religieux imprègne le manga -je ne l’ai pas sous la main donc je parle de souvenir-). Donc la décision de Juli à la fin est logique en contexte mais je la trouve tout de même abrupte, bien qu’au moment de ma lecture je n’avais aucune attentes particulières et pas de fin précise en tête.
Pour en revenir à des choses plus terre à terre, à cette époque les relations entre garçons ou jeunes hommes étaient courantes mais ce n’était pas de l’homosexualité comme on le perçoit aujourd’hui. Ca pouvait être un amour platonique basé sur un rapport intellectuel (cf Maurice de Forster) ou bien -pour aller plus loin- de la masturbation (collective ou non) pour exemple. Si cela peut être considéré comme des pratiques homosexuel ce n’est pas considérer comme de l’homosexualité mais une construction de la masculinité.
Bref, j’ai bien conscience que le shojo ce n’est pas que des amours lycéennes (encore heureux) mais pour moi dire cette histoire c’est du shonen-aï, c’est réducteur dans le sens où c’est nier tout ce que l’amour (avec un grand A) à de nuances.
Tu as peut-être raison. J’interprète peut-être mal la notion de shonen-aï. Pour moi justement le shonen-aï, contrairement au yaoi, ne met pas forcement en scène des histoire d’amour mais des relations ambiguë dépassant la simple amitié. Alors que le yaoi, ben c’est de la romance (ou du sexe) entre mecs
Les relations ambiguë mêlant amitié, amour, attirance (physique ou intellectuelle) à l’adolescence c’est chose courante et ne dépends pas de l’époque mais juste du bouleversement hormonal, l’époque fait que cela soit plus ou moins bien accepté, je pense, non ?
Mon commentaire portait surtout à la lecture du coeur de Thomas, ce n’était pas une généralité pour toutes les oeuvres classées comme shonen-aï. Comme tu l’as dit, il y a de tout dans le shonen-ai et le yaoi, chaque auteur à sa façon se raconter une histoire entre les individus et ça inclus donc tout un tas de nuances 🙂
Effectivement il y a sans doute un côté hormonal en plus du reste et notre perception de ces relations -qui existent et ont toujours existé- varies selon les époques (un coup on les casera dans la case X un autre dans la case Y). Notre acceptation dépend du contexte historique et socio-culturel.
C’est vrai qu’en ce qui concerne Le cœur de Thomas, nous ne somme pas du tout dans un récit de romance. C’est plutôt un récit sur le mal-être de ses jeunes hommes qui passe entre autres par des relation d’attirance (plus intellectuelle que physique) et d’admiration comme tu dit. Mais pour moi cela reste du shonen-aï 🙂 D bon shoen-aï quoi :Du bon shonen-aï quoi 😀
Mon très cher frère ça vaut le coup ?
J’ai commandé aussi l’anthologie de Moto Hagio, je devrait bientôt la recevoir
Exactement ! C’est qui est bien dans cette oeuvre c’est que Moto Hagio évoque des sentiments complexes tout en restant assez sobre.
J’ai bien aimé très cher frère, comme je l’ai dit, à la fin de ma lecture mon ressenti était un peu comme si j’avais une nouvelle ou un roman. Dans le cas de ce titre, il faut apprécier le dessin « à l’ancienne » et le côté dramatique très exagéré de certaines scènes par la mise en page et le caractère des personnages près à certains extrêmes par amour ( dans le cas présent on peut parler de romantisme au sens littéraire du terme).
Mon avis n’est pas très objectif car j’aime les vieux shojos (bon ou mauvais :D) mais si tu as aimé La rose de Versailles, je ne pense pas que tu sois trop dépaysé.
L’anthologie est vraiment bien. C’est juste dommage que l’on n’ait pas eu d’autres oeuvres de l’auteure 🙁
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