Novecento, la version d’André Dussolier ~by Yomu-chan
Comme promis voici une autre petite analyse de spectacle ! Je vais vous parler aujourd’hui de Novecento, pianiste, C’est un texte que m’a fait découvrir Pica, et qui m’a beaucoup touché.
Novecento c’est d’abord un texte écrit par Alessandro Baricco en italien puis traduit en français par Françoise Brun. Publié en 1994 pour être lu par un comédien ( Eugénio Allegri) et accompagné en musique.
Ce texte assez cours nous envoie sur un paquebot d’avant guerre où Tim Tooney, un ancien trompettiste, nous raconte l’histoire de son meilleur ami : Dany TD lemon Novecento. Novecento est né sur ce bateau et n’en descendra jamais ; il passera sa vie à y jouer du piano, il y joue une musique extraordinaire « qui n’existe pas » et devient une véritable légende dans les ports d’Amérique et d’ailleurs. C’est cet étrange récit, comique et poétique, que j’ai découvert il y a quelques mois et qu’André Dussolier décide de s’approprier pour l’adapter au théâtre.
Parlons un peu de cette mise en scène de Dussolier. Il joue d’ailleurs lui-même l’unique rôle du Tim Tooney, le trompettiste narrateur. Sur scène il est parfois accompagné par des musiciens : un pianiste, évidemment, (Elio Di Tanna), un trompettiste (Sylvain Gontard), un contre-bassiste (Olivier Andrès) et un batteur (Michel Bocchi).
Mais faisons les choses clairement et abordons les aspects du spectacle un à un.
D’abord le jeu de comédien. André Dussolier a 70 ans et pourtant quelle pêche il a !! Ah il envoie. Pour tenir un monologue d’1h10 il faut être doué et dynamique sinon l’ennui s’installe vite. Et pourtant là, ça marche. André a un jeu très généreux, il donne de sa personne, et ça fait plaisir. Mais pour conserver cette énergie il a été obligé de faire quelques petits sacrifices. En effet, il fait des coupes dans le texte, rien de plus normal me direz-vous, mais en plus de ça il débite son texte à une vitesse assez incroyable. Alors belle performance, oui, mais du coup le texte n’est pas toujours bien entendu, quelques phrases pourtant touchantes passent un peu à la trappe. Et c’est frustrant ; en tout cas quand on connais le texte, parce qu’on va au théâtre pour l’écouter et on en loupe une petite partie. D’ailleurs, amoureuse du texte que je suis, j’aurais une autre petite critique à faire. Au début de la pièce, quand le trompettiste se met dans la peau du capitaine pour présenter le bateau, Dussolier opère quelques modifications douteuses sur le texte. Il ajoute quelques jeux de mots, recherchés certes mais sur ce passage il écoute un peu trop le public rire… Enfin disons qu’un ou deux jeux de mot auraient été sympathiques mais il aurait fallu qu’il s’arrête là. Il sait jouer avec la langue française on a compris !
Mais bon ce moment n’est pas très long et après, la pièce nous emporte très bien, loin dans son monde.
A côté de cela Dussolier maîtrise bien son propos, il a des adresses au public très judicieuses que l’on n’a pas à la lecture mais qui fonctionnent bien sur scène. De plus comme le texte de Novecento propose un personnage qui parle seul et s’amuse à rapporter des propos qui ne sont pas les siens ou a reconstituer des conversations, et il est intéressant de voir comment une fois parlées ces paroles peuvent prendre un tout autre sens que celui que l’on a lu ; certaines phrases, qu’à ma lecture j’avais approprié à Novecento, Dussolier les a attribuées au trompettiste.
Parlons maintenant du décor. Quand on entre dans la salle on observe sur scène la coque d’un paquebot légèrement rouillé, quand la pièce commence le Tim Tooney prend place devant et entame son récit et au bout de quelques minutes, alors que les musiciens font leur apparition, l’éclairage nous fait prendre conscience qu’en fait cette coque de bateau n’était qu’une toile. L’illusion fonctionne bien. Quand l’aventure à bord commence, la toile est tirée et disparaît.
Nous avons alors un écran blanc en fond de scène sur lequel seront projetées différentes images, éléments à part entière du décor. A cour on a le piano et c’est là que viennent jouer les musiciens. Toujours à cour mais plus en avant, on observe une caisse en bois (caisse de dynamite en réalité) qui restera là, immobile, durant tout le spectacle. Par opposition, sur la même ligne mais à jardin il y un escalier mobile que le comédien va déplacer au gré de ses mots et des situations qu’il a à jouer. Cette image offre une contradiction mobile/immobile très intéressante qui sert à merveille le propos de la pièce. Cela illustre très bien l’état d’esprit de Novecento, qui ne quitte pas son navire et qui pourtant voyage plus que tous, à la fois statique et dans le mouvement.
L’autre élément prépondérant du décor c’est l’écran et les projections dont on a parlé plus haut. On observe tantôt des images très réaliste de couchés de soleil ou de ports et tantôt des images floutées de ce qu’aurait été l’intérieur du bateau. Je me suis un moment interrogée sur le choix de ces images floues, et j’en suis arrivée à faire un rapprochement entre ce manque de netteté et le fait que l’histoire qu’on nous livre n’est qu’un souvenir du trompettiste. Le fait de visualiser cet intérieur tremblant nous projette au cœur même de l’esprit nostalgique du personnage.
Cet écran se prête aussi à de beau tableau en ombres chinoises, notamment à un moment où l’on voit en transparence les musiciens qui jouent un air mélancolique, c’est une matérialisation intéressante de la poésie du texte.
Il y a maintenant un autre point de toute importance que l’on se doit d’aborder. La musique. En effet Novecento met en scène l’histoire d’un pianiste virtuose, et autant la lecture de l’œuvre peut avoir un aspect frustrant puisque l’on doit se contenter d’imaginer cette musique extraordinaire ; mais aller en voir une adaptation au théâtre a aussi un côté stressant car on ne cesse de se demander si l’interprétation faite sera à la hauteur de ce que notre imaginaire avait supposé.
Bon. Je suis loin d’être une spécialiste en musique mais… sans trop savoir ce que j’aurais voulu à la place j’ai trouvé que les morceaux choisit étaient un peu trop « répertoriés » pour pouvoir représenter Novecento. En revanche Dussolier fait un choix de mise en scène très pertinent lors du duel musical qui oppose Novecento et Jerry Roll Morton. Alors que le pianiste, Elio Di Tanna, se doit d’interpréter les performances des deux personnages, il nous offre un morceau spectaculaire pour la deuxième intervention de Morton, puis quand vient le tour de Novecento (qui doit alors jouer une musique incroyable, sortie d’une autre dimension et qui transcende tout le public) Dussolier nous offre un long et profond silence. Et ça marche très très très bien ! Il n’aurait pas pu faire meilleur choix. Car pour un simple mortel il est impossible de jouer la musique de Novecento et même si cette réalité est frustrante, le fait de l’entretenir nourrit le mythe et notre imaginaire. En plus le public a très bien joué le jeu, il y avait une très belle écoute dans la salle et ce silence magnifique a été assumé jusqu’au bout.
Voilà voilà, je finis ma petite analyse. En conclusion je dirais que le spectacle a commencé en me décevant mais que très vite il m’a rattrapée et a su m’emporter sur l’océan, aux côté de ce mythe que devient Novecento. Dussolier a réussi à m’arracher quelques larmes sur la fin et je ressors très émue et contente de cette expérience. Je lui préfère quand même le texte d’origine.