Zéro pour l’éternité

24 janvier 2015 11 Par Bidib

Pour ouvrir le mois dédié aux BD historiques et plus précisément à l’histoire du XX siècle (à découvrir dès le 1er février sur K.BD) j’ai choisi un manga qui m’interpelle par son sujet : Zéro pour l’éternité.

Peut-être vous êtres-vous déjà demandé pourquoi l’armée japonaise envoyait sur les navires américains non pas des bombes, mais ses avions tout entier et le pilote avec ? Moi je n’arrête pas de m’interroger sur l’origine et les raisons d’une telle stratégie tant elle paraît absurde.

Ce manga revient sur l’identité de ces kamikazes à travers l’enquête de 2 jeunes gens sur leur grand-père mort à la guerre. C’est donc avec leur regard du XXI siècle qu’ils tentent de comprendre les kamikazes en général et leur grand-père en particulier.

J’ai lu le premier tome il y a déjà un moment, et même si je l’avais trouvé très intéressant j’avais laissé la série en suspens pour privilégier des lectures plus légères. Ce n’est ni à cause du manque d’intérêt pour la question ni de la qualité du manga. Non. C’est parce que les sujets touchant à la guerre, et plus particulièrement aux conflits du XX siècle, me touchent profondément et je ressors rarement indemne de ces lectures. C’est peut-être pour cela que j’avance à reculons à la perspective d’un mois d’histoire sur K.BD alors que j’ai moi-même proposé ce thème. Dans les semaines qui viennent, je vais verser sans doute pas mal de larmes et faire quelques cauchemars…

Au moment de proposer cette thématique, Zéro pour l’éternité n’a pas été le premier titre auquel j’ai pensé, mais il s’est très vite fait une place dans mon esprit. Si j’ai choisi ce titre, ce n’est pas pour la renommée de ses auteurs ou pour son attrait artistique, mais pour l’aspect historique du récit que je trouve particulièrement intéressant. Surtout par la confrontation entre réalité passée et conscience moderne. Cela ne nous raconte pas seulement les événements historiques, cela nous interroge également sur la façon dont nous appréhendons ces événements aujourd’hui.

Au Japon, comme en France, notre génération, et encore plus celle de nos enfants, a grandi dans un monde en paix. Bien sûr, les conflits ont existé tout au long de ces dernières décennies (et perdurent aujourd’hui), mais ils restent relativement lointains et ne touchent pas notre territoire et notre quotidien. Pouvons-nous vraiment affirmer cela à deux semaines à peine de l’attentat qui a touché la rédaction de Charlie Hebdo en plein cœur de Paris ? Aussi choquants que ces événements aient pu être, cela n’a rien à voir avec un pays en guerre.

Pourtant le parallèle fait avec le terrorisme n’est pas anodin. Le mot kamikaze n’est-il pas utilisé de nos jours pour désigner les terroristes commettant des attentats-suicides ? Les auteurs de Zéro pour l’éternité posent eux-mêmes cette question en introduction du premier tome : les kamikazes de l’armée impériale étaient-ils des terroristes ?

Si on peut faire le parallèle entre le fanatisme nationaliste des uns et le fanatisme religieux des autres, tout comme leur volonté commune de se donner la mort pour leur cause, une différence fondamentale les distingue à mes yeux : les kamikazes de l’armée japonaises sont des soldats qui attaquent d’autres soldats. Aussi absurde et extrême que puisse être une telle stratégie, cela reste une stratégie militaire dans un conflit armé entre deux nations. Alors que le terrorisme s’attaque à la population civile. À mes yeux l’amalgame entre les deux n’est pas légitime, en aucun cas on ne peut considérer les soldats japonais comme des terroristes. Mais l’emploi abusif du mot kamikaze pour désigner les terroristes-suicide rend cette interrogation inévitable.

Ce manga me semble une occasion en or pour en apprendre plus sur les kamikazes. Apprendre en lisant une BD (et donc en s’amusant) voilà le propos de la thématique que je voulais proposer aux lecteurs de K.BD et par la même à ceux de Ma petite Médiathèque. Reste à savoir si Zéro pour l’éternité saura relever de défi.

Synopsis :

Kentarô Saeki, jeune diplômé sans emploi et sans perspectives d’avenir, se voit missionné par sa sœur journaliste pour faire des recherches sur leur véritable grand-père, celui que même leur mère n’a jamais connu, mort au combat en 1945, en kamikaze.

Kentarô ne sait presque rien de son grand-père. Il va tenter d’en apprendre plus sur lui en recueillant des témoignages auprès d’anciens combattants toujours en vie. C’est ainsi que commencent son enquête et son exploration du passé de sa famille, mais aussi de l’histoire de son pays. Lui qui n’avait plus le goût à rien, retrouve énergie et motivation à travers cette quête historique.

 

Sur les traces des kamikazes :

Où nous mène cette quête ? Pour en apprendre plus sur ce mystérieux grand-père mort pour la patrie, Kentarô et sa sœur rencontrent M. Ishioka, un ancien combattant acariâtre qui va leur raconter sa propre expérience et sa rencontre avec Miyabe (le grand-père) à l’armée.

Ishioka est plein d’amertume, sa vie a été très dure, avant pendant et après la guerre. Le personnage n’est pas sympathique, son mauvais caractère contrebalance le récit douloureux de son passé empêchant de tomber dans le pathos. Ishioka a certes souffert, mais sa vision obtuse des choses, sa façon de s’exprimer le rendent désagréable, mais en même temps très humain. À travers ce premier témoignage ce ne sont pas seulement des souvenirs du passé qui sont racontés, ce sont aussi deux visions du monde qui s’affrontent : celle de l’armée impériale incarnée par l’ancien combattant amer et celle de la jeunesse japonaise actuelle représentée par Kentarô et sa sœur. M. Ishioka ne parle pas que de la guerre, mais aussi des conditions de vie dans le Japon du début du XX siècle, une vie dure où la violence semble être omniprésente. Si son récit peut sembler exagéré, le nombre d’histoires allant dans le même sens que j’ai rencontré, me laisse penser qu’il y a une large part de vérité dans la violence de ce Japon du début de l’ère Shôwa (1926-1989).

Ishioka est aussi intéressant pour les sentiments qu’il éprouve vis-à-vis de Miyabe. Ishioka qui a survécu semble éprouver de la jalousie pour la mort glorieuse de son camarade.

Le premier tome se termine par une postface qui nous en apprend plus sur le célèbre avion “Zéro” et sur les kamikazes. Si le témoignage d’Ishioka nous permet de mieux appréhender ce que pouvait être l’état d’esprit des pilotes japonais, la post face nous donne de précieuses informations historiques.

Dans le deuxième tome Kentarô rencontre un nouvel ancien combattant ayant connu son grand-père. Alors que M. Ishioka (dans le premier tome) gardait une grande rancœur pour Miyabe, M. Ito va donner une image beaucoup plus positive du grand-père. Certes, la vision de Miyabe s’accordait mal avec son époque, mais était elle condamnable pour autant ? Peut-être était-il simplement en avance sur son temps ? Encore une fois, la vie de l’époque se retrouve confrontée à l’état d’esprit moderne. Quelle valeur donner à la vie ? Quelle valeur avait-elle à l’époque ?

À cette époque, on ne pouvait pas raisonner comme aujourd’hui. La mort imposait sa présence partout… nous vivions dans un monde où elle se confondait avec la vie.

Le deuxième tome donne plus de détails historiques concernant l’aviation et l’aéronavale japonaise, notamment en nous parlant de l’attaque de Pearl Harbor, début de la guerre du Pacifique où le Japon impose sa suprématie dans une attaque-surprise, et de la bataille de Midway qui marque un tournant dans la guerre infligeant de lourdes pertes au Japon.

Si le premier tome tentait de nous faire percevoir l’état d’esprit que pouvait être celui des pilotes de l’armée japonaise, le deuxième tome est riche en détail d’histoire militaire. Les termes techniques pourraient en ennuyer plus d’un, mais j’ai pour ma part trouvé la tentative d’explication des stratégies militaires plutôt intéressantes. Je dis tentative, car cela reste relativement simple pour être à la portée de tous.

La série se termine en 5 tomes. La version française est disponible chez Delcourt. Pressé par le temps et les délais à respecter, je n’ai eu le temps de lire que les deux premiers tomes avant de vous livrer mes impressions. Mais je compte bien continuer la série, à mon rythme (pas trop de guerre à la fois !).

Côté dessin ce manga n’a rien d’extraordinaire, le graphisme est plutôt classique et sage dans sa mise en page. Il n’en reste pas moins fluide et agréable à l’œil. La narration est bien construite et le passage entre passé et présent nous offre des petites pauses de réflexion nous permettant d’intégrer et digérer les informations reçues. Nous n’avons pas seulement un cours d’histoire, le manga nous incite à réfléchir sur l’histoire. En cela je le trouve plutôt réussi. Si ce n’est pas un incontournable, il réussit pleinement le pari de nous en apprendre plus sur l’histoire tout en passant un agréable moment de lecture. Très bonne pioche pour les amateurs d’histoire. Un manga qui trouve tout à fait sa place dans ma collection, puisque je m’intéresse à l’histoire et à la culture du Japon.

J’ai hâte de découvrir les tomes suivants sans pour autant avoir envie de les enchaîner, de peur de saturer.

J’ai hâte surtout de découvrir ce que mes camarades k.bdéistes en auront pensé ! Pour cela je vous donne rendez-vous sur K.BD dimanche 1er février. 😉

Sur ce je vous laisse, j’ai une tonne de chroniques en retard, des BD à finir, d’autres à commencer, et tout ça avant le festival d’Angoulême !! (Mode panique activé!)

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