Parfum de glace – Yôko Ogawa
Yôko Ogawa
小川洋子
Parfum de Glace
Titre original : 凍りついた香り (Karitsuita Kaori)
Éditeur original : Gentosha, Tokyo. 1998
Éditeur français : Acte Sud, 2002
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle
Résumé :
Quand son compagnon se suicide, Ryoko ne comprend pas. Aucun signe ne laissait présager un tel geste. À la morgue elle rencontre Akira, le jeune frère de Hiroyuki, dont elle ignorait l’existence et qui, quand il parle de son frère, semble évoquer un homme très différent de celui qui partageait sa vie.
Chaque fois qu’Akira évoquait le Hiroyuki que je ne connaissais pas, les battements de mon cœur se précipitaient. Je ne savais pas très bien si j’avais envie de l’entendre ou de me boucher les oreilles. Je finissais par me demander qui, de lui ou de moi, en savait le plus. Et j’avais l’impression que la jalousie que j’avais ressentie à la morgue allait resurgir. Je ne voulais pas être plongée encore plus dans la confusion.
Incapable de faire le deuil de l’homme qu’elle aimait, mais dont elle ignore tout, elle va tenter de le comprendre en reconstruisant son passé.
C’est à partir de quelques phrases énigmatiques, laissé sur une disquette dans le laboratoire de parfumeur où il travaillait qu’elle va commencer son enquête.
« Gouttes d’eau qui tombent d’une fissure entre les rochers. Air froid et humide d’une grotte. »
« Réserve de livres hermétiquement fermée. Poussière dans la lumière. »
Frasil sur un lac à l’aube. »
« Mèche de cheveux d’un défunt formant une légère boucle. »
Vieux velours passé qui a gardé sa douceur. »
Ce voyage dans le passé de Hiroyuki la mènera jusqu’à Prague. Dans cette ville le réel s’entremêle à l’onirique. Nous ne savons plus ou nous nous trouvons vraiment.
Lorsque je me retournai, il n’y avait personne derrière moi. Sa silhouette qui tout à l’heure encore se trouvait non loin avait inexplicablement disparu. Sans laisser de cliquetis ni de traces de pas.
– Jeniack, Jeniack !
Ma voix, aspirée par les arbres, n’arriva nulle part.
J’avais l’impression d’avoir accompli une erreur irréparable. Mais je ne savais pas très bien où, ni comment cette erreur s’était produite. Je m’étais retrouvée seule devant la serre, comme le vent qui change d’orientation sans que personne s’en aperçoive.
Pour autant, je n’étais pas du tout troublée. Je ne ressentais ni regret ni frayeur. Parce que du fond de la serre venait l’odeur, celle de Source de mémoire.
J’y pénétrai sans hésitation.
Mon avis :
On retrouve cette écriture au point de vue subjectif, où se mélangent des univers dont on à du mal à savoir s’ils sont réels ou pas, dans ses autres roman également.
Personnellement c’est le troisième livre de Yôko Ogawa que je lis. Des trois, Parfum de glace est celui qui m’a le plus touché, sans que je ne sache trop dire pourquoi. Peut-être parce que le sujet entre en résonance avec mes propres émotions ? Quoi qu’il en soit je suis entrée dans l’histoire plus facilement, je me suis plus facilement identifiée à l’héroïne que dans Cristallisation secrète (密やかな結晶 Hisoyaka na kesshō) ou Les Abeilles (ドミトリイ Domitorī) dont le personnage principal et narrateur est également une femme.
Bien que l’histoire de Parfum de glace soit triste, on ne tombe jamais dans le mélodrame, on se fond pas en larme. L’héroïne dégage une belle force. Pour ne pas sombrer, elle s’accroche aux fantômes du passé, mais elle ne baisse jamais les bras.
Seul reproche que je ferais à ce roman d’Ogawa, comme aux deux autres que j’ai lu, c’est qu’il nous laisse sur notre faim. Durant tout le roman on cherche à comprendre ce qui a pu pousser Hiroyuki au suicide. Dans cette quête de compréhension, Ryoko nous entraîne à la poursuite d’histoires vieilles de 15 ans et … rien. Soit qu’il n’y ai rien à comprendre, soit que je sois, moi, incapable de comprendre le message du livre, arrivée au terme des 300 pages je n’ai toujours pas de réponse. On ne peut qu’éprouver de la frustration. Mais, n’est-ce pas là, peut-être, le message que nous transmet Yôko Ogawa?
J’ai resenti cette même frustration à la lecture de Cristallisation secrète et Les Abeilles. A la fin du livre, on se sent comme abandonné par l’auteur, avec plus de questions que de réponses, avec l’envie d’en savoir tellement plus…
Quelques mots sur l’auteur :
Yôko Ogawa est né en 1962 à Okayama. Diplômée de l’université de Waseda, elle remporte le Prix Kaien pour sa première nouvelle en 1988 : La Désagrégation du papillon (揚羽蝶が壊れる時 Agehachō ga kowareru toki). En 1991 elle remporte le prestigieux Prix Akutagawa (ce prix est considéré comme l’équivalent du Prix Goncourt en France) pour
la Grossesse (妊娠カレンダー Ninshin karendā). Elle recevra d’autres prix et certaines de ses oeuvres verrons une adaptation au cinéma : L’annulaire, réalisé par Diane Bertrand et La Formule préféré du professeur réalisé par Takashi Koizumi.
Ses romans et nouvelles ont été traduits dans de nombreuses langues. La traduction française de ses oeuvres est assurée par Rose-Marie Makiko-Fayolle et publiée chez Acte Sud.
Retrouvé tous ses livres traduits en français sur le site de Acte Sud link
Dans le magazine Lire du mois de Mars 2012, André Clavel dans l’article « La Relève, cinq romancières » pour le Dossier Spécial Japon, fait une très belle présentation de Yoko Ogawa :
Yôko Ogawa
Visage de cire, sourire figé, teint blafard, Yôko Ogawa est, à 50 ans, la romancière la plus troublante des lettres japonaises. Il faut se méfier de sa prose lisse et limpide, presque durassienne, car c’est l’enfer qui s’y dissimule, avec son cortège d’égarements et de perversions. Sa devise ? Elle l’emprunte à son maître Kawabata : « Il est plus facile d’entrer dans le monde des démons que dans celui des choses réelles. » Son oeuvre ? Une quinzaine de romans inclassables, qui exhibent les fantasmes de la chair et la perdition des âmes avec une précision hyperréaliste, quasi fétichiste. Sur le théâtre de la cruauté nipponne, Yôko Ogawa met en scène une société sans repères, sans utopies, où le taux de suicide est l’un des plus élevés du monde. Et si elle écrit, c’est pour déposer quelques flocons d’absolu sur cette noirceur morbide qui obstrue tragiquement l’horizon de son époque. « La lumière du silence illumine les mots », dit-elle, comme si l’écriture était une prière balbutiée dans un monde privé de transcendance.
Décrits par une voix monocorde, les personnages de Yôko Ogawa sont toujours saisis au moment où quelque chose se casse en eux. Elle est la calligraphe des fêlures muettes, des brèches physiques et mentales, des dérèglements des sens. Avec cette explication : « Je souhaite révéler à travers mes récits la face cachée de l’homme, la faiblesse et la sauvagerie qui sont en chacun de nous. Je n’ai jamais considéré qu’il existait une morale : le beau et le laid, le bien et le mal, le blanc et le noir ne s’opposent pas, ils se côtoient, s’emmêlent de façon très équivoque. Je m’intéresse à la limite vaine qui est censée les séparer. »
Traduite chez Actes Sud par Rose-Marie Makino-Fayolle, Yôko Ogawa s’est fait connaître en France avec La Piscine, récit d’un enfermement entre les murs d’un orphelinat, et avec Hôtel Iris, un conte cruel où l’on voit une adolescente descendre dans la géhenne sadomasochiste face à un vieillard qui la brutalise et la contraint aux pires déviances sexuelles. Mais autant l’univers de la Japonaise semble détraqué, autant son écriture reste froide et impassible, comme un bloc de glace posé sur un volcan de violences et de folies. Autre obsession, sous la plume de Yôko Ogawa : le monde de la maladie et du handicap, la surdité dans Amours en marge, l’aphasie dans La Mer, la confrontation avec la mort dans Le Musée du silence et dans Une parfaite chambre de malade.
Et avec La Petite Pièce hexagonale, nous replongeons dans cette « inquiétante étrangeté » qui teinte d’effroi tous les récits de Yôko Ogawa : sa narratrice s’accroche à une silhouette fantomatique – une vieille femme rencontrée dans le hall d’une piscine – et elle la suit comme un automate, sans raison, sans but, sans espoir… D’un livre à l’autre, Yôko Ogawa déroute ses lecteurs jusqu’au vertige. En leur offrant sa musique si singulière, une mélodie funeste, obsédante, très japonaise dans sa sobriété meurtrière.
Dernier livre paru Manuscrit zéro (Actes Sud)
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