Aléas – Franck Mercier
J’ai reçu ce livre des mains de l’auteur lui-même. J’étais curieuses mais je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Faut dire que c’est son premier livre et qu’il est sorti en autoédition. Autant dire que c’est la surprise totale.
C’est donc sans apriori aucun que j’ai ouvert le livre et y est découvert un recueil de nouvelles. Ce fut une jolie surprise. J’ai adoré la première (un peu moins la seconde). Et j’y ai trouvé un style d’écriture vraiment sympa auquel je ne suis pas habituée.
Mais avant de vous en dire plus sur mon ressenti prenons le temps de présenter le livre.
Aléas regroupe 4 nouvelles. Chacune d’entre-elle est racontée à la première personne par un héro narrateur un peu loser, écrivain raté, dérivant un peu en marge de la société, écumant les bars, cherchant sa place, ou une place tout court. La similitude de trait de chaque personnage principal est telle qu’il pourrait bien s’agir du même à différentes étapes de sa vie. Certains textes se font d’ailleurs écho.
L’écriture joue un rôle très important dans la vie de tous ces hommes (cet homme ?). Une écriture amie, exutoire nécessaire. Ecriture ennemie, inspiration qui ne vient pas, incapacité à se faire publier…
S’essayer à l’écriture, faire comme les vrais, y croire et s’y accrocher à tout jamais. Pour le plaisir et l’envie de partager. Pour soi tout d’abord et puis ensuite l’envol du récit qui vous échappe, presque plus à soi. Comme un artisan posant l’un après l’autre les mots-parpaings afin d’obtenir une structure durable, solide, aux formes harmonieuses
La lecture de la première nouvelle a été un délice. J’ai trouvé ça excellent. L’ambiance dans laquelle évolue le personnage m’était familière. C’est très vivant et simple, une tranche de vie qui pourrait être la notre, et là tout à coup, après quelques verres de trop dans le bistrot du quartier un simple retour au bercail sous une pluie battante devient une aventure épique. Ce décalage entre la situation des plus banales et la façon dont le personnage vit ces quelques mètres de marche sous la pluie m’ont vraiment beaucoup amusé. Sans parler du fait que je découvrais la plume de Franck Mercier et que le style à la fois très familier et poétique m’a conquise. Le texte est court et la chute très jolie. Bref, une excellente entrée en la matière. J’étais ravie.
Ma lenteur m’amusait presque, je regardais mes pieds pour pouvoir garder les yeux ouverts.ça bastonnais sec. Le vrai déluge, et je tentais avec ardeur de parvenir jusqu’à mon arche. Noé égaré et ridicule. Totalement. Au bout d’un quart d’heure, j’avais bien fait la moitié du terrain, et plutôt fier de moi. J’avais encore pris du poids et devait friser gentiment les cent kilos. Mes fringues étaient des choses pendantes, les lambeaux dégoulinants d’un zombie tout droit sorti d’une mauvaise série fantastique.
[…]
Penser au final est une chose, mais j’étais encore en pleine course ; j’accrochais péniblement le coin de la rue et mon obésité accidentelle m’épuisait plus vite qu’espéré. La fin du parcours s’avérait plus ardue que rêvée. Peu de distance à parcourir, mais un fol effort encore à fournir. Une épreuve pour sportif aguerri. Là, je doutais de me capacités, craignant de faillir à si faible distance de la ligne d’arrivée. J’angoissais un peu du coup, la perspective de pas tenir le choc, de finir la nuit je ne sais comment, dehors si prêt du but, me coupait le souffle plus encore. Et la pluie persistait dans son labeur acharné.
Ma vue me semblait-il se faisait de plus en plus floue, mes pieds ressemblaient à des choses énormes, hideuses. Je commençait à dérailler.
J’ai un peu déchanté avec la deuxième nouvelle. On y retrouve le même type de personnage, toujours l’écriture en arrière plan. Le style y est le même et c’est agréable, il y a de très joli passage, certains m’ont ému, d’autres m’ont fait rire. Mais j’ai eu du mal à accrocher à ce texte. Je pense que son principal défaut est sa longueur. Beaucoup plus longue que les autres cette nouvelle, elle souffre de quelques redondance, puis on perd le fil. A un moment donné je me suis même demandé s’il était toujours question du même personnage, soit j’ai pas bien compris soit il y a carrément une petite incohérence qui s’est glissé dans le texte et qui m’a perturbé. Quoi qu’il en soit je trouve que le texte aurait gagné à subir quelques coupes ou alors à être divisé e plusieurs nouvelles. L’ensemble suit une logique et déroule le fil des conséquences d’une décision malheureuse, mais j’ai eu du mal à rester concentrée. Puis je n’ai pas pu m’attacher au personnage, peut-être trop plaintif à mon goût.
J’ai beaucoup aimé ce passage du début de la nouvelle :
Et c’est sans parler de mes pompes ! Car elle sont usée mes pompes, pas à dire. Mais peu m’importe, je les aimes. Elle tiennent dans leur vétusté l’histoire de mes cinq dernières années, quelques-uns de mes sales moments, pas mal de chouettes aussi, arcs-en-ciel volés à la monotonie, au train-train aliénant. Pourries elle le sont, ces sympathiques rangers, que l’armée dans son extrême bonté a eu la négligence de me laisser piquer. Témoins privilégié de mon existence militaire, de chauds souvenirs parfois réconfortants. Et elles me traînent inlassablement depuis, malgré quelques signes d’usure bien compréhensibles. Elle me restent fidèles.
Les nouvelles suivantes retrouvent un rythme plus rapide, les textes sont plus court et le plaisir de lecture ne s’en trouve que renforcé. Dans la nouvelle L’envol on retrouve ce décalage entre une situation banale et l’envolée lyrique de l’esprit du personnage et c’est un régal. J’ai beaucoup aimé ce texte où tandis qu’une tempête qui se livre au dehors, le héro, enfermé à la maison attendant que les éléments se calment, se remet en cause. Ça se déchaîne aussi dans son esprit. C’est joli, c’est poétique et touchant.
Le feu crépite dans la cheminée, bousculé par instant de vicieuses rafales, s’engouffrant conquérantes, volontaires, des envies de tueuses – mettant en péril mon feu adoré, le centre névralgique de mon antre – dans une panique orangée, chaotique. Les flammes hésitent quant à la direction à prendre, luttant corps et âme pour leur survie.
J’écoute et j’observe : le ballet des flammes aux lentes et longues ondulations, secouées parfois d’accélérations subites, comme guidées par un orchestre fou, la fumée hésitante à prendre de la hauteur, à se trouver mêlée à la guerre qui l’attend au dehors.
J’écoute et j’observe, hypnotisé par la lutte qui s’engage. Je me fait vent, je me fait tempête, je suis le feu, le danseur discipliné et obéissant au desiderata du musicien, son esclave servile. Je suis la fumée acre et brûlante engouffrée dans le conduit sombre, luttant pas à pas pour sortir de l’obscurité, s’élever et prendre le large, dans l’air frais et humide de cette féroce tempête d’hiver. Sortir du tunnel, waouh, sacré challenge.
La dernière nouvelle, Aymar, flore bon l’été. Le héro part chercher un travail dans le sud et se retrouve bloqué au milieux de nulle part, le capot de la voiture fumant. Le hasard (parfois heureux) de la vie lui fera faire une belle rencontre qui lui donnera un nouveau départ. Il y a dans cette dernière nouvelle une touche d’idéalisme. Mais pourquoi pas. Parfois une rencontre suffit à vous faire reprendre vos esprit et retrouver votre chemin. Les personnages sont attachant. Et le texte est très agréable.
On avance lentement, colline après colline, côtes, descentes à n’en plus finir. La beauté du paysage de plus en plus sauvage, presque désertique, m’est masqué par ma flippe exponentielle. Je redoute la catastrophe, j’en implore la grâce divine, je pourrai je crois prier tout dieu à cet instant ; le hocquetement final de la machine m’obsède. On fait équipe malgré tout, elle et moi, équipe des plus bancales certes, mais solidaire dans l’effort. Je souffre autant qu’elle, elle transpire autant que moi. Nous sommes un, courbatus, attendant avec une hâte fantasmée la ligne d’arrivée, le soulagement du guerrier après la bataille, la belle et douce euphorie de l’après-peur. On va y arriver
En conclusion je dirais que ce premier livre est vraiment prometteur. S’il y a encore du travail, notamment sur la deuxième nouvelle dont la longueur n’est pas très bien maîtrisé, j’y ai découvert une belle écriture au style vivant et poétique, mettant l’accent sur la poésie ordinaire, celle des jours qui se suivent, pas toujours heureux, mais qui recèlent un part de beauté pour celui qui sait regarder. J’ai adoré le mélange de l’ordinaire, du langage familier à l’envolée lyrique faisant d’un événement banal une véritable aventure. Je ne marcherais plus sous la pluie de la même façon 😉
Un bon début qui ne peux que nous faire espérer de joli textes à venir.
Si vous êtes curieux et que l’univers du poète ordinaire de Franck Mercier vous intéresse vous pouvez trouver son livre ICI, ICI et ICI.
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