Une Histoire et des légendes gréco-perses ? ~ by Yomu-Chan

Une Histoire et des légendes gréco-perses ? ~ by Yomu-Chan

29 mai 2021 3 Par Yomu-chan

Quand l’on parle de la culture et de l’héritage historique de la Grèce antique, on entend souvent l’expression “gréco-romain”. Une formule qui a du sens bien sûr, du fait de leurs échanges et de la façon dont les Romains se sont inspirés de leur voisin pour construire leur civilisation, notamment pour penser leur panthéon. Si l’on trouve effectivement chez les Romains des équivalents presque identiques pour chaque divinité ou chaque créature mythique grecque, il est important de rappeler que  l’expansion romaine rime avec la fin de l’apogée grecque. Mais alors avec qui échangeait les Grecs au plus fort de leur histoire ?

Il existe bien sûr de multiples réponses à cette question, mais il me semble pertinent de parler de l’Empire perse ! Eh oui, car les Perses (ou les Mèdes comme ils étaient appelés par les Grecs) ont dominé une graaaaande partie de l’Asie Mineure et de la méditerranée orientale d’environ 550 av. J.-C. à l’expédition d’Alexandre le Grand. Notons également que diverses populations grecques ont possédé et habité des territoires et des colonies dans plusieurs territoires qui se sont vu soit passer sous domination perse, soit partager avec eux des rapports frontaliers et diplomatiques. Je pense notamment à l’Ionie, avec les villes de Millet et Phocée, sur la côte de l’Anatolie, qui a été le départ des guerres médiques.

Empire perse

 

Il est donc naturel d’imaginer que les Grecs et les Perses aient eu de nombreux échanges et que leurs cultures se soient mutuellement influencées. Bien sûr, de grandes différences caractérisent les deux civilisations. L’Empire perse s’étend sur un territoire immense tandis que la Grèce est ensemble d’îles parsemées dans la mer. Les vastes régions (satrapie) de la Perse étaient gouvernées par des seigneurs locaux, obéissant à un Grand Roi. L’autorité de ce dernier est absolue, et le bien de l’Empire passe avant tout. C’est donc une civilisation qui, administrant des cultures et ethnies différentes tout en prenant garde à respecter les coutumes locales, pense sa politique sous forme de réseau, avec de grands circuits de communication et d’irrigation.  Là où la Grèce organise sa politique (ou devrais-je dire “ses politiques”) autour de Citées indépendantes, Athènes, Sparte ou Thèbes s’autogouvernent et sont, d’ailleurs, régulièrement en guerre les unes contre les autres. Il n’y a pas, chez les Grecs, d’idée de Nation : on est athénien ou sparte avant d’être grec.  On imagine donc assez bien des conflits d’intérêts et des incompréhensions entre ces deux civilisations. C’est d’ailleurs cette volonté de Citée indépendante qui a déclenché les révoltes d’Ionie en -499.

Au VIe siècle, le roi de Perse, Cyrus II, transforme son petit royaume en absorbant des Mèdes et s’étendant de l’Inde à la Méditerranée, par une suite de guerres et de conquêtes. Il domine bientôt l’Asie Mineure et annexe les cités côtières grecques de l’Ionie et des Dardanelles. En -499 Milet initie une révolte, il s’agit d’une conséquence directe de la rencontre entre l’impérialisme perse et le fonctionnement politico-économique grec. Suite à l’intervention d’Athènes, il faut 6 ans de guerre aux autorités perses pour mater la révolte. En -490 Darius, dont l’attention avait été attirée sur la Grèce occidentale, ressentit le besoin d’assurer son pouvoir des deux côtés de la mer Égée. Il lance donc ce qui sera la 1ere guerre médique. Celle-ci se termine avec la légendaire bataille de Marathon qui marque la victoire des Athéniens. En 485, un an après avoir succédé à son père, Xerxès décide de venger cette humiliante défaite. Il prépare donc ce qui deviendra la 2e guerre médique. Il a, à sa cour, de nombreux renégats grecs qui le conseillent et lui permettent d’organiser sa campagne. Notons que certaines citées grecques vont même se rallier à sa cause, on les appelle les cités médisantes. S’en suit une succession de batailles, de victoires et de défaites, pourtant malgré la mise à sac d’Athènes, les Grecs finissent par triompher.

guerres médiques

Ces conflits sont bien connus, car ils ont été décrits de la manière la plus neutre possible par Hérodote, considéré aujourd’hui comme le père de la science historique. Pourtant si l’on retient bien le mot de “guerre” il est important de noter qu’il s’agit surtout là de la preuve d’un échange diplomatique, politique et culturel intense. Hérodote lui-même, s’il est grec, est né sur un territoire dominé par les Perses, il n’est pas donc aberrant de les considérés, lui et son ouvrage, comme les produits d’une rencontre gréco-perse. 🙂

Mais quid des contes et légendes ? Peut-on observer des similitudes entre la mythologie grecque et la mythologie perse ? Ma réponse est : bien sûr ! Au-delà du fait, que l’on peut carrément considérer certaines Cités grecques comme appartenant à l’empire perse, il est possible de faire plusieurs rapprochements entre leurs panthéons et leur bestiaire fantastique. Le Premier exemple qui me vient à l’esprit c’est le Sphinx.

Nous connaissons tous le Sphinx grec qui a testé Œdipe lorsqu’il tente de fuir son destin. Cette créature à la tête de femme, au corps de lion et aux ailes d’oiseau, perfide et sans merci, qui propose des énigmes aux voyageurs et qui les dévore s’ils ne sont pas capables de répondre. Nous connaissons tous l’histoire tragique d’Œdipe le vif qui devine le nom de l’être qui se déplace à quatre pattes le matin, deux pattes le midi et à trois pattes le soir. Et pourtant, avons tous en tête l’image du grand sphinx de Giza, en Égypte. Cette majestueuse statue qui se dresse devant les pyramides des pharaons.

Sphinx de Naxos et Sphinx de Giza

La créature grecque serait issue de l’union incestueuse d’Echidina (mi-femme mi-serpent) et de son fils, Orthos le chien bicéphale. Le Sphinx serait alors la sœur et la nièce de Cerbère, le chien des enfers, de l’Hydre de Lerne, de la Chimère et du Lion de Némée.  Le Sphinx, ou Sphinge, aurait été envoyé par la déesse Héra pour punir la ville de Thèbes du crime de son roi, Laïos, qui aurait violé Chrysippe, le jeune fils du roi Pélops. Selon d’autres sources, Le Sphinx est envoyé en Béotie à la suite du meurtre du roi de Thèbes (Laïos) . Ce qui est sûr, c’est que la créature ravage les champs et terrorise la population. Elle a appris auprès des Muses une énigme et déclare qu’elle ne quittera pas la région tant que personne ne l’aura résolu.

Cette créature mystique évolue donc dans le décor de Thèbes, un centre de légende pour les Grecs. Il s’agit en effet de la ville natale du Dieu Dionysos, est se fera le théâtre de la folie des bacchantes. C’est aussi la ville qui accueillera Œdipe et sa fille Antigone. Plus qu’un lieu mythique, il s’agit d’une véritable Citée grecque ayant marquée l’Histoire. C’est la place forte de la Béotie, en Grèce centrale (il ne s’agit pas de la Thèbes égyptienne). La citée est l’une des rivales majeures d’Athènes. Il est important de relever que Thèbes est l’une des villes qui se sont alliées aux Perses durant l’invasion de Xérès en -480. Il y eut donc de nombreux échanges d’ambassadeurs entre Thèbes et l’empire achéménide. Ce qui nous laisse supposer que la légende du Sphinx ait pu arriver aux oreilles des Perses, de même qu’elle a pu s’enrichir des légendes rapporter par les diplomates et les guerriers mèdes.

La créature égyptienne, elle, diffère un peu de son homologue béotien. La plus grande différence réside dans le fait qu’il s’agit d’un être de sexe masculin. Il s’agit d’une figure bien plus bienveillante qu’en Grèce, bien qu’elle représente la force et la dangerosité. Le Sphinx égyptien agit plutôt comme un gardien. Il incarne, avec son Némès (coiffe pharaonique), la puissance souveraine du pharaon. Il est en partie chargé de veiller sur sa nécropole, d’où sa présence à l’entrée et dans les pyramides. Si, comme le Sphinx grec, il exulte d’une part la force brute, et est parfois représenté en train de piétiner des ennemis, on retrouve, comme chez sa sœur de Boétie,  l’aspect intellectuel et rusé du Sphinx, dont le visage prend les traits d’un pharaon, invoquant ainsi son intelligence.

Rappelons ici que l’Égypte fut sous domination perse pendant plus de 120 ans (-525 à -404) et que Darius Ier était connu comme “le pharaon perse”. Durant cette période l’administration perse a profondément réformé l’économie égyptienne, notamment en introduisant la monnaie, et a lancé de nombreuses constructions, qui aujourd’hui font partie intégrante du riche patrimoine égyptien.  Et si la présence de Sphinx est antérieure à la domination perse, on peut tout de même dire que, ayant partagé plus d’un siècle d’Histoire commune, le Sphinx a fait partie intégrante du paysage mythique de l’empire !

Ce sont tous ces faits et ces échanges qui nous permettent de comprendre pourquoi l’on retrouve des sphinx dans les décors de la salle du trône du palais du roi Darius Ier, à Suse. Ces fresques en briques siliceuses à glaçure dateraient de 510 av. J.-C.  On y observe plusieurs sphinx coiffés de tiares, les couronnes des rois de Mésopotamie. C’est au Musée du Louvre qu’il m’a été donné de voir ce fragment de mur. Les photos ne lui rendent absolument pas justice, elles sont incapables de rendre fidèlement ce bleu étincelant et le doré flamboyant qui renvoie la lumière du soleil. Vous l’aurez compris, en plus d’avoir été intriguée par la présence d’une figure  mythique grecque dans un palais perse, j’ai complètement été subjuguée par la beauté de cette œuvre. Sans conteste une de mes pièces préférées du Louvre !

les Sphinx du palais de Darius I°

Les Sphinx du palais de Darius Ier (Suse)

Je vous ajoute quelques détails de la salle du trône, parce que c’est vraiment magnifique et que les couleurs y ressortent mieux :

Notons également que la présence du Sphinx n’est peut-être pas qu’un emprunt des Grecs et des Égyptiens. En effet, il existe dans les cultures indiennes des créatures équivalentes.  Connu sous le nom de purushamriga (sanscrit), on le trouve également à l’entrée des temples, avec un rôle de gardien purificateur. Et la Perse se trouve être exactement le carrefour entre l’Asie du Sud, l’Asie Mineure et l’Europe, elle est l’incarnation de ce que l’on appelle l’aire “indo-européenne”. Il ne serait donc pas étonnant que les routes commerciales aient fait voyager des récits d’un bout à l’autre des continents et aient alimenté respectivement les légendes des différentes civilisations.

Purushamriga gardant l’entrée du temple Shri Shiva Nataraja à Chidambaram

 

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