Elle qui se laissait dévorer [manhua]

4 mars 2020 32 Par Bidib

C’est d’une courte nouvelle taïwanaise que je vais vous parler aujourd’hui. D’une nouvelle et de son adaptation en BD par 61Chi, car ce sont les deux versions que la récente publication aux éditions H nous permet de découvrir.

Couverture Elle qui se laissait dévorer

Cela commence sur le rebord d’une fenêtre. Une jeune collégienne s’apprête à sauter sous le regard effrayé de ses camarades. Comment en est-elle arrivée là ? C’est trois mois plutôt que tout a commencé. Shih-Jhen est une jeune fille timide et discrète. Elle en pince pour le beau et jeune prof de maths, comme ces camarades. Elle partage une chambre avec 2 autres filles dans le pensionnat de cette école privée perché en haut de sa colline loin de tout. Tout commence avec une rumeur, un geste, des mots mal interprétés, la jalousie, la méchanceté feront le reste. Shih-Jhen devient la cible de rumeur et harcèlement, le prof subit lui aussi le même sort. Mais lui, c’est un adulte, il peut partir. Il partira, laissant Shih-Jhen seule face aux mensonges et aux reproches. Shih-Jhen, déjà si timide, devient transparente, invisible. Elle ne dort plus, mange assise dans la remise. Sombre, petit à petit. C’est là qu’elle rencontre une créature fantastique : un tapir dévoreur de rêves. Celui-ci lui reproche de ne plus faire assez de rêves pour le repaitre. Bien que l’étrange tapir ne mache pas ses mots et se montre peu tendre avec elle, sa présence rassure la jeune fille. Peut-être même que le tapir va lui sauver la vie et dévorer ses cauchemars.

J’avais déjà repéré le travail de 61Chi au festival d’Angoulême, et je désespérais de la voir un jour publiée en France. Voilà que les éditions H viennent d’exaucer mon souhait avec cette courte nouvelle d’une trentaine de planches. Le manhua est complété par la version originale de la nouvelle écrite par Godwind Hsu ainsi que par des annexes : recherches graphiques, interview, biographies et postfaces.

J’ai beaucoup aimé le travail de 61Chi, son dessin n’a rien du manga classique. Son aspect aquarelle donne une touche onirique au récit, le surnaturel vient s’y insérer très discrètement. Seule la présence d’un tapir glouton contraste avec le décor et les personnages réalistes. Quelques subtiles différences distinguent la version de 61Chi de celle de Godwind Hsu. Les deux m’ont beaucoup touché, faisant remonter en moi des souvenirs pas très heureux de ce que furent mes années collège : 4 longues années en milieu hostile. J’ai beaucoup aimé le tapir et sa philosophie. Ces mots ont résonné en moi comme s’il avait été à mes côtés à l’époque. Ce qu’il dit c’est exactement ce que je me répétais tel un mantra pour survivre à la pression, à l’exclusion, aux brimades, aux insultes.

« Cette école est si petite, elle ne t’enfermera pas. Il faut être idiote comme toi pour imaginer que c’est là tout ton monde  »

[…]

« Ouvre les yeux, petite sotte. Plus petite que cette école, on ne fait pas. Ce que les gens racontent n’a aucune importance. »

Le tapir n’est vraiment pas tendre, mais la vie l’est-elle ? Faut se ressaisir. Et c’est ce qu’il incite à faire. Sa présence donne du courage à la petite Shih-Jhen qui finit par se rendre à l’évidence.

C’est beau, c’est touchant, que demander de plus ! Je ne peux que vous conseiller cette lecture.

sur le site des éditions H

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Le coin des curieux

61Chi

Le Tapir dévoreur de rêves

Créature légendaire chinoise (mò), le tapir dévoreur de rêve se retrouve également dans le folklore japonais (獏, baku) et coréen (맥, maek). C’est une créature positive qui débarrasse le dormeur de ses cauchemars.

Le tapir dévoreur de rêve mythologique est une chimère à la trompe d’éléphant, aux yeux d’un rhinocéros, à la queue de vache et au corps de tigre. Pour son tapir, 61Chi s’est inspiré du tapir de Malaisie noir et blanc tout en le rendant plus petit et plus mignon (une sorte de grosse peluche gloutonne et peu aimable).

illustration tirée du Sancai Tuhui (1609)

À l’origine la créature mythique chinoise protégeait des maladies, puis en arrivant au Japon elle a changé et est devenue un protecteur de rêves, et c’est en tant que tel qu’elle revient en Chine.


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