Gare au garou ! [nouvelles]

22 août 2020 6 Par Bidib

Couverture Gare au Garou

J’ai acheté ce vieux recueil tout spécialement pour la thématique du Challenge Contes & Légendes de ce mois d’août. Si l’idée de parler de loups-garous ma de suite séduite (c’était une proposition de mes filles) fort est de constater que je n’avais pas grand-chose dans ma bibliothèque. En faisant quelques recherches, je suis tombé sur ce recueil de huit histoires présentées par Barbara Sadoul et retraçant un peu l’histoire des loups-garous dans la littérature puisqu’on traverse les siècles avec cette sélection, présenté par ordre chronologique, une approche, je trouve, très intéressante. J’ignorais que la présence des loups-garous dans la littérature était si ancienne.

 

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Je ne regrette pas d’avoir acheté ce livre, même si toutes les histoires n’ont pas trouvé grâce à mes yeux, l’ensemble est intéressant. Voici quelques lignes sur chaque histoire :

Satyricon – Pétrone (Ier apr. J.-C.)

Un homme, accompagné d’un soldat, veut se rendre quelques part. Mais alors qu’ils cheminent paisiblement, le soldat se métamorphose en loup et ses habits se changent en pierre. Effrayé, l’homme retourne chez lui où on lui apprend qu’un loup vient d’attaquer les moutons.

Le texte est très court, écrit sous la forme d’un témoignage à la première personne. L’auteur met surtout l’accent sur la frayeur de celui qui assiste à cette métamorphose, complètement effaré. Ce qui est amusant ici, c’est surtout de constater qu’on trouve des histoires de loup-garou aussi vieilles.

Bisclavret – Marie de France (XIIe siècle)

C’est l’histoire d’un seigneur breton, beau et brave que tout le monde aime. Proche de son suzerain et aimé de ses sujets. Il épouse la femme qu’il aime et ils vivent heureux. Mais chaque mois, il disparait pendant trois jours. Sa femme, inquiète, ne cesse de l’interroger, mais Bisclavret ne veut rien lui dire. Elle insiste tant et tant qu’il finit par lui avouer la vérité. Chaque mois à la pleine lune il se transforme en loup et erre au plus profond de la forêt pendant trois jours. Il cache ses vêtements parce que si on venait à les lui prendre, il ne pourrait pas retrouver sa forme humaine. L’épouse, épouvantée par cette révélation, manigance pour savoir où sont cachés ses habits et lors de la pleine lune suivante elle envoie l’un de ses prétendants voler les vêtements en échange de ses faveurs. Le pauvre seigneur, ainsi privé de ses vêtements, est condamné à rester un loup. Pendant ce temps, son épouse fait constater la disparition du seigneur et se marie avec le voleur de vêtement.

Un jour le suzerain va chasser dans la forêt et tombe sur son vassal en loup, impressionné par la bête il décide de ne pas le tuer, mais de l’amener avec lui dans son château. Le loup se montre si respectueux que tout le château se prend d’affection pour lui et ainsi passe le temps.

Mais un jour, alors que le roi donne une fête à laquelle l’épouse de Bisclavret et son nouveau mari sont invités. Le loup qui jamais n’avait été agressif envers quiconque se montre des plus agressif envers le couple. Face à ce changement de comportement étonnant. Le roi fait torturer la femme jusqu’à ce qu’elle avoue tout. On donne ses vêtements au loup qui peut enfin reprendre sa forme humaine pour le plus grand plaisir du roi.

J’avais déjà entendu cette histoire, mais impossible de me souvenir où je l’ai lue. Ce qui est amusant ici c’est que le loup-garou n’est pas le méchant de l’histoire. On aurait pu s’attendre à ce qu’une histoire datant du Moyen-âge fasse du loup-garou un suppo de Satan, alors qu’il est ici la pauvre victime innocente. Les méchants sont bien humains et mus par des sentiments on ne peut plus humain : la peur, la convoitise. Le loup, lui, fait preuve d’une grande noblesse, que se soit sous sa forme humaine où animale, il se montre bien moins cruel et dangereux que son épouse et son prétendant. Le caractère de Bisclavret a séduit son suzerain aussi bien sous forme humaine que sous sa forme de loup alors même que le roi ignore tout de l’enchantement.

J’aime beaucoup cette histoire, et j’aime la traduction en français moderne que Pierre Jonin livre de ce texte médiéval. J’aime moins la séance de torture de l’épouse traitresse (le chevalier fautif, lui, est simplement fait prisonnier).

enluminure représentant deux loup attaquant une bergerie

le loup dans le Bestiaire d’Aberdeen (XIIe siècle)

En cherchant des images pour illustrer ce conte, je suis tombé sur un court métrage dont je vous reparle très vite 😉

Sur l’autre rive – Légende bretonne – Eric Stenbock (1893)

Dans une campagne de campagne, un ruisseau sépare le village de « l’autre rive ». Sur l’autre rive, tout est désolation. Là-bas vivent des loups-garous, des hommes-loups et des loups-hommes ainsi que des hommes malfaisants qui 9 jours par ans se transforment en loup. Dans le village vit un enfant qui n’est pas comme les autres, chétif et rêveur il ne partage pas le goût des autres garçons, lui il aime rêvasser et fuit les bagarres. Un jour il aperçoit sur l’autre rive une fleur si belle qu’il ne résiste pas à la tentation de traverser pour la cueillir. Mal lui en a pris, il se fera envouter, rencontrera une femme-louve qui l’emmène de l’autre côté où il tombe dans une sorte de turpitude.

J’avoue que ce texte est trop romantico-poétique pour moi, je n’ai rien compris. Ça n’a ni queue ni tête. Remarquez, le texte rend bien l’état dans lequel se trouve le héros entre rêve et veille, un espace où ce n’est plus la logique qui règne et où il n’est lui même pas sûr de comprendre ce qu’il lui arrive, où il se trouve. Nous, lecteurs, sommes à la même enseigne. Rien n’a vraiment de sens. Sauf que moi et la poésie… je suis ressortie de cette nouvelle plutôt perplexe en me demandant où l’auteur voulait en venir avec cette histoire. Ce qui est amusant en revanche c’est qu’il n’y a pas une sorte de loup-garou, mais une multitude de créatures hybrides à mi-chemin entre l’homme et le loup, toutes distinctes les unes des autres bien que vivant toutes au même endroit.

Alors que dans le récit médiéval le loup-garou est bon, dans cette vision romantique il est inféodé au Malin. Une créature qui a tout l’air d’être un démon est à leur tête. Ceci dit, si le ruisseau semble désemparer le bien (le village et les villageois, bon chrétien) du mal (toutes sortes de loups et à leur tête le gardien des loups bien flippants), la louve se montre aimante et douce et belle alors que les humains n’ont que mépris pour le jeune Grabriel juste parce que c’est un intellectuel. Si bien qu’on est un peu perdu, où est le bien, où est le mal ?

En tout cas cette nouvelle offre des descriptions à vous donner des frissons :

Mais soudain, un nuage noir masqua la lune en entier et tout sombra sans les plus noires ténèbres. Alors, dans l’obscurité absolue de la nuit, s’élevèrent les cris et les hurlements des loups livrés à l’ardeur hideuse de la chasse. Une horrible procession de loups (des loups noirs aux yeux flamboyants), d’hommes à tête de loup de loup à tête d’homme survolée par des chouettes (des chouettes noirs aux yeux flamboyants) et des chauves-souris ainsi que par de longues créatures noires et ophidiennes, passa devant lui. À califourchon sur un énorme bélier noir pourvu d’une monstrueuse tête humaine, le gardien des loups dont le visage reste éternellement dans l’ombre fermait le cortège.

Je n’aimerais pas trop me retrouver dans la tête de l’auteur ! Que de chouettes visions…

Eric Stenbock.jpg

Eric Stenbock (1860-1895)

Le chien de la mort – Robert E. Howard (1936)

On quitte le romantisme de la fin du XIX anglais pour partir dans la crue et sauvage Amérique quelques décennies plus tard. Robert E. Howard nous amène dans l’Amérique rurale et profonde habité par de gens rustres. Et c’est le mot que j’utiliserais pour caractériser ce texte.

Un nègre (excusez-moi pour le mot, mais c’est celui du texte) très dangereux s’est évadé. Le héros décide, alors, de s’aventurer dans une dangereuse forêt pour aller prévenir un homme qui vit seul avec son serviteur dans une cabane pommée. Non pas qu’il apprécie l’homme, mais il est blanc et il pense que c’est donc son devoir d’aller le prévenir du danger. Pas besoin de vous en dire plus pour que vous compreniez mon malaise face à ce récit. J’ai beau me dire qu’il faut resituer le texte dans son contexte historique, j’ai beaucoup de mal à lire un récit où le blanc est important parce qu’il est blanc, le noir est un nègre, la femme une potiche. Et je ne vous parle pas des descriptions faites du dangereux esclave qui s’est enfui où l’auteur lui prête des traits simiesques. J’ai eu beaucoup, beaucoup de mal avec ce texte. Tous les deux paragraphes, sinon moins, je tombais sur une tournure qui irritait ma sensibilité. Contexte historique où pas, j’ai du mal avec ce genre de choses.

Bon, mais le loup-garou ? Et bien l’histoire du loup-garou aurait été intéressante si elle n’avait pas été habillée de tant de racisme. Alors que le héros traverse la forêt avec la perspective d’y croiser un dangereux assassin il y fait la rencontre d’une créature plus dangereuse encore qui est là pour aller tuer l’homme terré dans sa cabane. Une histoire de vengeance. L’homme qu’il va trouver l’a abandonné il y a des années lors d’une expédition en Asie. Là-bas l a été changé en loup-garou par des pratiques magiques horriblement douloureuses.

Stories of Shape-Shifting by Robert E. Howard, Paperback | Barnes ...

Hors de la tanière – Bruce Elliott (1954)

J’ai adoré cette histoire que j’ai trouvé très originale. Il n’est pas question ici d’un loup-garou, mais d’un homme-garou. C’est un loup qui un jour se réveille dans le corps d’un homme, il est effrayé, ses sens ont changé, on le chasse de sa cage dans le zoo où il vivait en captivité, il se retrouve dans une nouvelle sorte de cage, on l’oblige à s’habiller, à se déplacer sur ses pâtes arrière…

J’ai beaucoup aimé cette histoire qui prend à contre-pieds la traditionnelle transformation d’homme en loup. Nous avons souvent des descriptions des sensations senties par l’homme devenu bête, mais que ressentirait un loup devenu homme ? Nous avons là la réponse. L’histoire va un peu vite et le loup s’adapte finalement assez vite à sa nouvelle situation, mais j’ai aimé cette histoire et son personnage central. L’originalité du récit m’a beaucoup amusé.

wolves dont cry bruce elliot | my love-haunted heart

Le Gâloup – Claude Seignolle (1960)

Si j’ai du mal avec le romantisme fin XIX, j’ai encore plus de mal avec l’écriture poétique des années 1960. Je n’ai absolument pas adhéré à la plume de Claude Seignoll, très imagée. J’ai abandonné après seulement une page. Ah ! pour être poétique, c’est poétique, mais moi j’ai besoin de visualiser. Un mot ne veut rien dire pour moi si je ne peux pas y associer une image. Quand je lis, j’ai un film qui se déroule dans ma tête et là, rien. Du brouillard. Des images  fragmentées, sans lien entre elles, voir pas pas d’images du tout. J’ai relu chaque phrase deux fois sans réussir à visualiser qui que ce soit. Alors j’ai laissé tomber. La beauté des mots ne m’intéresse pas, je veux voir les histoires et là je ne voyais rien.

pour vous donner une idée du style, voici les premières lignes :

Hhrr… Enfin cette nuit, dans les bois, je sens revivre l’humus. À travers ses pores, les racines soupirent leur trop plein de sève nouvelle. Cette noire senteur se lie au froid ; l’une me râpe le dedans du ventre, l’autre me racle par-dehors comme à multiples traits de herse.

Mais ni le noir ni le froid ne le repaissent. Pour raviver haine et douleur, il faut que j’aille à meilleure, à moins jalouse pâture : car la nuit, mon aire de vie est elle-même affamée d’autres haines et d’autres couleurs.

… je ne comprends pas… la seule chose qui se dessine en cet instant dans mon esprit, c’est la tête d’un loup qui me regarde perplexe l’air de dire « hein ?! »

Nibards – Suzy Mckee Charnas (1989)

Avec Nibards nous avons du loup-garou au féminin. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle dont l’héroïne (qui s’exprime à la première personne) voit son corps se transformer alors qu’elle vient d’avoir ses premières règles. Précoce et dotée d’une forte poitrine, la jeune fille est moquée à l’école. Alors que le sang coule pour la première fois elle se transforme en loup. Après une première frayeur, elle goûte à une liberté nouvelle. Une liberté qui revient chaque mois. Là où d’autres ont leurs règles, elle, elle devient loup et prédateur. Ceux qui l’ont harcelé feraient bien de se méfier.

Le ton du texte est très cru, mais j’ai beaucoup aimé cette nouvelle qui, si elle est très classique avec un ado devenu loup-garou, apporte quelque chose de très moderne et en phase avec notre temps. C’est cru et cruel, mais j’aime bien. Avec un titre pareil, je ne m’attendais vraiment pas à tomber sous le charme de ce texte.

Conversations About Wolves: Suzy McKee Charnas

Et la lune brille pleine et lumineuse – Brad Strickland (1991)

ET voici la fin du recueil, une fin en beauté. J’ai beaucoup aimé cette dernière nouvelle que j’ai trouvé très originale.

Le héros est le dernier loup-garou. Il a été fait prisonnier. On fait des expériences sur lui dans un labo futuriste. Il regrette le temps où il vivait dans la nature, mais la nature n’existe plus depuis longtemps ! Tout a été domestiqué et les plantes et les animaux que l’on peut encore sont l’oeuvre de manipulation génétique effectuée par l’homme. Il n’y a plus de nature sauvage, seulement d’inoffensif parc. Kazak, le loup-garou a perdu la notion du temps. Depuis combien de temps est-il prisonnier ?

Loup-garou et SF en un seul récit avec cette histoire qui se passe dans un futur assez lointain où l’homme a déjà commencé à coloniser l’espace. J’ai trouvé ça original et très agréable à lire. La fin est surprenante, mais pas vraiment logique. Elle me laisse un peu perplexe.

Un chouette recueil qui m’a fait découvrir de nombreux auteur que je ne connaissais pas.


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