découvrir l’internement des Nippo-Américains en 2 lectures

25 avril 2021 11 Par Bidib

Bonjour, aujourd’hui je vous propose deux lectures sur un même thème : l’internement des Nippo-Américains aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Si ce fait historique ne m’était pas inconnu, j’avoue que je n’avais jusque là pas cherché à en savoir plus. Or le hasard ayant voulu que 2 livres de ma PAL traitent de ce même thème, j’ai eu envie d’en faire une lecture jointe. Les 2 livres, très différents l’un de l’autre, se complètent très bien et on retrouve dans les deux les mêmes informations et le même traumatisme.

Mais avant de vous parler plus en détail de mes deux lectures, faisant un petit point d’histoire. Des vagues de migration successives, d’abord vers Hawaï puis vers la côte ouest des États-Unis, amènent une importante population japonaise sur les territoires des États-Unis dès la fin du XIX siècle. En 1907, les migrants japonais représentent 2% de la population californienne. Dès le début, les immigrés japonais doivent faire face au racisme et à la discrimination. En 1913, la Californie va jusqu’à publier une loi interdisant aux Japonais (au même titre qu’à d’autres immigrés asiatiques) d’acheter des terres ou de pouvoir accéder à la nationalité américaine. En 1922, la Cour Suprême interdit définitivement la naturalisation des ressortissants japonais en se basant sur la notion de race (ce jugement ne sera révoqué qu’en 1952). En 1924, l’immigration des Japonais est interdite exception faite d’Hawaï.

C’est dans ce contexte de discrimination que les immigrants japonais vont subir l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon après l’attaque de Pearl Harbor. Juste après l’attaque, le FBI fait prisonnier 1370 ressortissant japonais. Avec la guerre opposant les États-Unis au Japon, le sentiment anti-japonais s’exacerbe, même à l’encontre des Nippo-Américains bien intégrés dans la société américaine.

Le décret présidentiel 9066 du 19 février 1942 permet d’enfermer des groupes ethniques dans des camps de concentration par mesure de prévention. Ce décret permet de délimiter des « zones d’exclusion » et ainsi d’exclure toute population d’ascendance japonaise de la côte ouest. Les mesures d’exclusions ne seront pas appliquées de la même manière dans tous les États. La Californie exclut la totalité de sa population d’origine japonaise alors que la mesure est moins drastique à Hawaï dont la population nippo-américaine est très importante.

Parmi les internés,  62% sont des « nisei », Japonais américains de seconde génération ayant la nationalité américaine. Environ 120 000 civiles d’origine japonaise seront internées dans divers camps, nommés camps de relocalisation.

Les prisonniers ne seront relâchés qu’à la fin de la guerre, avec, pour toute compensation, un ticket de bus et 25 dollars. Faudra attendre les années 1980 pour que le gouvernement américain assume que la décision d’internement était motivée par des préjugés raciaux et non par nécessité de décence et qu’une compensation soit versée aux anciens détenus toujours vivants.

Pour cette brève introduction historique je me suis servie des Wikipedia, n’hésitez pas à compléter ou corriger en commentaire

sources :


Les indésirables – Kiku Hughes

bande dessinée de Kiku Hughes, publié chez Rue de Sèvres (2021)

Entre science-fiction et récit historique, Kiku Hughes livre un récit autobiographique dans lequel elle tente de revivre l’expérience de sa grand-mère japonaise détenue de 1942 à 1945 d’abord dans le camp provisoire de Tanforan, puis dans celui de Topaz.

Kiku a 16 ans et vit à Seattle. En vacances à San Francisco avec sa mère, elle va vivre une expérience étonnante de voyage dans le temps. Alors que sa mère veut voir la maison dans laquelle avait grandi sa propre mère, Kiko est projeté dans le temps, elle assiste à un concert et sur scène elle reconnaît sa grand-mère alors adolescente. Un deuxième voyage temporel la transpose au jour d’évacuation des Nippo-Américains. Ces deux premiers voyages temporels sont très cours, mais un suivant beaucoup plus long va l’amener à vivre dans les camps, celas même où avait été interné sa grand-mère avec sa famille. De cette expérience, la grand-mère n’a jamais rien raconté, la mère de Kiku ne lui en a jamais vraiment parlé non plus et Kiku ne s’était jamais vraiment posé de questions. Mais, à l’heure où Trump parle de construire des murs et d’interdire l’accès au pays aux ressortissants de certains pays, les souvenirs des discriminations raciales subis par ces ancêtres se ravivent et l’amènent dans un autre espace temps où elle va vivre l’expérience de sa grand-mère. Sans trop comprendre comment elle a pu arriver dans le passé, Kiku se plie docilement à cet étrange événement et suit les Nippo-Américains dans leur évacuation. Elle sera internée à Tanforan, puis à Topaz, dans un baraquement à côté de sa grand-mère. Sans jamais oser lui parler, elle va l’observer de loin tout en vivant elle-même l’expérience de la vie du camp. Elle s’y fera des amis et vivra avec eux l’angoisse et les questionnements. Alors que la plupart des nisei se sentaient américains avant l’internement, les questions identitaires animent le groupe de jeunes gens avec qui Kiku va se lier d’amitié. Avec son regard détaché (elle sait comment tout cela va se terminer dans les grandes lignes, mais ignore de quoi sera fait leur quotidien), elle écoutera ses camarades et s’interrogera sur les différentes prises de position.

J’ai trouvé cette bande dessinée très intéressante pour son thème historique. Ici l’aspect SF est purement au service du thème historique, il n’est là que pour donner prétexte à remonter le temps et donner à voir la vie dans les camps. On peut être surpris par le manque de réaction face au voyage dans le temps de la jeune Kiku, qui s’y plie sans trop se poser de questions, sans paniquer. On peut, aussi, la trouver assez froide. Absorbé par son expérience en immersion, c’est à peine si elle évoque sa famille qui ne semble pas vraiment lui manquer et inversement elle n’exprime rien du tout envers les amis du passé qu’elle a pu se faire et qu’elle quitte brutalement en revenant dans le présent. Mais, personnellement, ces deux petits bémols dans le récit ne m’ont pas du tout dérangé, car j’étais plus intéressé par le témoignage historique que par l’aventure SF de l’héroïne. Ce n’est qu’un jeu narratif auquel je me suis plié sans trop d’exigence.

Le témoignage historique, en revanche je l’ai trouvé très intéressant, car on suit vraiment le quotidien des prisonniers, on apprends comment la vie s’organise dans les camps. Mais on s’intéresse aussi aux sentiments et aux interrogations des prisonniers et plus particulièrement à ceux des Nippo-Américains deuxièmes générations, les nisei, qui se sentaient pour la plupart américains avant d’être internés comme des ennemis. Se pose alors la question d’identité, interrogation qui sera renforcée par les questionnaires de loyauté auxquels les prisonniers sont obligés de répondre. Faut-il renier ses origines pour se montrer plus américain qu’américain ou assumer son ascendance japonaise ? Les avis divergent et animent les débats. Kiku elle-même va alors s’interroger sur sa propre identité. Une réflexion que je trouve très intéressante. Le parallèle fait avec l’actualité et la politique de Trump est aussi très intéressant.

Graphiquement j’ai trouvé la bande dessinée très agréable.

Kiku Hughes, autrice et illustratrice américaine d’origine japonaise, signe ici son premier roman graphique. Avant cela elle a contribué à  Beyond Anthology et  Alloy Anthology.

Kiku Hughes sur twitter

Les indésirables sur le site des éditions Rue de Sèvres

→ sur Amazon, BD Fugue ou chez votre libraire préféré

→ à lire aussi les avis de Tachan, Les voyages de Ly, Mylène

je participe également au challenge Des Histoires & des Bulles (catégorie roman graphique)


Quand l’empereur était un dieu – Julie Otsuka

Couverture Quand l'empereur était un dieu

When the Emperor was Divine (2002)

roman de Julie Otsuka, traduit par Bruno Boudard, publié chez 10/18 en 2008 (première édition française : Phébus, 2004)

J’ai découvert Julie Otsuka il y a quelques années avec un roman qui m’avait beaucoup marqué autant pour l’intérêt du récit que pour le style très particulier de l’autrice : Certaines n’avaient jamais vu la mer. En rédigeant mon article TTT #90 : 10 romans écrits par des femmes, j’ai découvert qu’un autre de ses romans était disponible en français et j’ai eu envie de le découvrir.

Le roman commence avec l’ordre d’évacuation. Une femme dans un quartier de Berkely le lit attentivement, en prenant des notes. Elle fait quelques courses puis rentre chez elle où elle commence à préparer ses affaires pour l’évacuation. Cette femme est d’origine japonaise. Elle devra être évacuée avec ses deux jeunes enfants, comme tous les autres habitants de la ville d’ascendance japonaise. Son mari n’est déjà plus là depuis un moment, des agents sont venus l’emmener sans explications quelques mois plus tôt. Elle n’attend déjà plus son retour. Et voilà qu’elle aussi doit quitter sa maison. Avec sa fille de 10 ans et son fils de 7 ans. Vider la maison. Premier séjour dans un camp temporaire, second convoi, nouveau camp. Dans le désert. La poussière, la chaleur accablante, puis un hiver glacial. De baraquement construit à la hâte, mal isolé. Les enfants qui s’adaptent, la mère qui sombre dans la mélancolie. Puis, enfin, le retour à la maison. Une maison que l’on reconnait à peine, qui a été pillée, abimée, et dans laquelle on ne se sent plus vraiment serein.

On suit les événements de manière chronologique, mais, bien que le narrateur soit omniscient, il adopte un point de vue différent à chaque chapitre, on commence en se focalisant sur la mère, puis la fille, ensuite on relate les événements du point de vue du garçon et enfin c’est le père qui apporte une conclusion. Si l’histoire est touchante, car tragique et inspirée de faits réels, il y a dans le style de l’autrice quelque chose de très impersonnel qui empêche de s’identifier. Alors qu’on suit tout au long du récit une seule et même famille, à aucun moment les personnages ne sont nommés. Ils restent toujours la mère, la fille et le garçon. Je pense que la volonté de l’auteur est ici de parler d’une famille en particulier tout en parlant de toutes les familles, cette famille ce n’est pas l’histoire d’une femme en particulier avec ses deux enfants, c’est une histoire qui aurait pu être celle de n’importe quelle famille japonaise de la côte ouest des États-Unis en 1942. Je comprends l’intention, mais je trouve que ça ne marche pas très bien dans la mesure où cela crée une distanciation entre le lecteur et les protagonistes. Même si certains passages m’ont beaucoup ému, cette narration impersonnelle m’a empêché de m’attacher vraiment aux personnages, ils restent anonymes alors même qu’on sait tout de leur quotidien.

Le fait de changer de point de vue est très intéressant, mais là encore ce n’est pas le personnage qui s’exprime, mais le narrateur en regardant les événements à hauteur de tel ou tel autre protagoniste. Cella donne des tournures de phrases étranges.

La façon très particulière d’écrire de Julie Otsuka m’avait déjà interpellé dans Certaines n’avaient jamais vu la mer. On a le même procédé : des protagonistes anonymes. Mais je trouve que dans ce second roman (Certaines n’avaient jamais vu la mer date de 2011) cette façon d’écrire fonctionne beaucoup mieux, car nous avons une multitude de personnages que l’on suit sur quelques pages à peine, alors qu’ici nous accompagnons la même famille sur tout le roman, ne pas connaitre leur nom c’est étrange.

Cependant, si je n’ai pas été pleinement conquise par le style, le roman reste très intéressant du point de vue historique et vient très bien compléter la lecture précédente. Le hasard veut, en plus, que les deux récits se déroulent dans le même camp. On y retrouve les mêmes choses : la chaleur accablante, le manque d’arbres et d’ombre, le froid glacial et cette poussière qui s’insinue partout.

Si l’histoire contemporaine vous intéresse, je vous le recommande, d’autant plus qu’il est assez court et se lit rapidement.

#Julie Otsuka, Américaine d’origine japonaise, est née en Californie en 1962. Après des études d’art, elle décide d’abandonner la peinture pour se dédier à l’écriture. Quand l’empereur était un Dieu est son premier roman. Elle s’inspire de son histoire familiale.

→ sur Amazon

→ à lire aussi : Certaines n’avaient jamais vu la mer


Avec ces deux lectures je participe au challenge Un mois au Japon et Lire au féminin.

lire au féminin


Pour compléter ces deux lectures j’aimerais lire Le fil à recouvre les âmes, roman jeunesse de Jean-Jacques Greif (l’école des loisir) et voir Bienvenu au paradis, un film d’Alan Parker (1990) et American Pastime, un film de Desmond Nakano (2007)

Avez-vous d’autres œuvres à nous conseiller sur cette thématique ? Avez-vous lu un des deux livres présentés ici ? Dites-moi tout en commentaire.

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