L’homme sans talent

16 septembre 2012 0 Par Bidib

  l-homme-sans-talent.jpgTitre original : 無能の人 (Munō no hito)

Cette bande dessinée de Yoshihara Tsuge, au style sombre rappelant le gekiga, s’inscrit dans un genre de manga particulier, appelé par la critique watakushi manga (私漫画) et traduit en français par bande dessinée du moi, en référence à un style littéraire japonais du début du XX siècle : le watakushi shôsetsu ou shishôsetsu, le roman du moi.

La bande dessinée du moi n’ayant jamais formé un mouvement assumé par les auteurs la pratiquant, sa définition est plutôt floue. Néanmoins, Béatrice Maréchal en donne les caractéristiques principales : récit court, porté par un personnage principal en proie au malaise vis à vis de la société et de lui même. Le personnage est mis en scène dans son quotidien. La bande dessinée du moi s’inspire de l’expérience vécue par l’auteur, pourtant il ne s’agit pas d’une autobiographie puisque l’expérience de l’auteur est mise au service d’un récit fictif.

L’homme sans talent est un recueil de différentes histoires publié par Tsuge dans la revue Comic Baku dans les années 80. C’est une de ces histoires qui donne son titre au recueil.

La version française est publié aux éditions Ego comme X, traduit par Fréderic Bollet (2004). A l’heure actuelle, c’est son seul manga traduit en français.

Résumé :

Sukezô Sukegawa rate tout ce qu’il entreprend. Auteur de bande dessinée, il s’est mis à refuser les commandes car elles ne correspondent pas à ce qu’il veut faire. Il arrête de dessiné. Après avoir rencontré un antiquaire, il s’essaye à la vente de vieux appareil de photo, mais la mode passe et il ne vends plus rien. Il ouvrira un stand de vente de pierre sur les berge de la rivière où il tente de vendre les pierre recueillis dans cette même rivière. Évidemment, il n’en vends pas une. N’a-t-il vraiment pas eu de chance dans sa vie,ou a-t-il mis un soins particulier à la rater ?

    l'homme sans talent planche

Mon avis :

Au premier abord tout m’a paru laid. Le dessin est sombre, déprimant, le personnage apathique, les décors glauques, les détails triviaux… Puis, à la lecture, de toute cette laideur émane une certaine beauté, une certaine poésie.

L’œuvre ne laisse pas indifférent. Moi, elle m’a particulièrement troublé. En refermant l’album, j’étais habité par une certitude plus que angoissante : « l’homme sans talent c’est moi ». Avouez qu’il y a de quoi paniquer ! Je vais finir par vendre des pierres au bord de la rivière ! Remarquez, il y a une rivière pas loin de chez moi, et j’aime ramasser des cailloux, j’ai plus qu’à leur trouver des noms poétiques…

Blagues à part, on ressent vraiment le mal de vivre du héros qui cherche et ne trouve pas sa place dans la société. Toujours à la recherche d’un métier qui pourrait lui convenir, ce ne sont pas les idées qui lui manquent, mais celle-ci sont soit irréalistes, soit finissent par mal tourner. En lisant, je me demandais si le protagoniste est vraiment victime du contexte comme il le laisse à entendre quand il raconte son expérience en tant que vendeur de vieux appareil photo. La mode passée, il se retrouve sans travail. Pourtant, il m’a donné l’impression de quelqu’un qui s’applique à rater sa vie, qui met beaucoup d’énergie dans des idées voué à l’échec dès le départ, tout en laissant passer de bonnes occasions. On le voit par exemple refuser une commande de bande dessinée au nom d’une prétendue intégrité artistique, alors qu’il est dans le besoin. Est-ce la peur de l’échec qui le pousse à l’échec ? Je ne me lancerai pas dans une analyse psychologique du personnage, qui serait hors de ma portée. Cependant, en lisant cet album, je me suis posée pas mal de questions, sur le personnage et l’auteur mais aussi sur moi-même.

Les détails du quotidiens du protagoniste sont si saisissant que je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’une œuvre autobiographique. C’est là que j’ai appris la particularité de la bande dessinée du moi dont Tsuge est l’un des auteurs emblématiques. En lisant sa biographie ainsi qu’une interview de lui sur le site de Ego comme X j’ai découvert un homme souffrant d’angoisse, dépressif. Cet état dépressif est particulièrement palpable dans les planches de l’homme sans talent.

Au fils de mes recherches, un détail m’a frappé, dans la littérature concernant Tsuge on fait référence au manga Munô no hito sous une autre traduction que celle proposé par l’éditeur Ego comme X : on parle de l’homme inutile et non pas de l’homme sans talent. Cette traduction me semble plus pertinente car le personnage ne semble pas, à mes yeux, dépourvu de talent, mais il est évident que son talent est inutile. Il est incapable de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Il est incapable de se trouver une place qui lui convienne dans la société. A ce titre, on peut considérer qu’il n’est pas seulement inutile pour lui-même et sa famille, mais surtout pour la société à laquelle il ne parvient pas à s’intégrer. Cette incapacité à trouver sa place est la source de sa souffrance, comme elle est la source de la souffrance de l’auteur et de bon nombre de « personne inutiles » qui se reconnaitront dans le personnage de Sukezô  Sukegawa.

l'homme sans talent planche 2

L’homme sans talent de Tsuge a été adapté au cinéma en 1991 par le réalisateur Naoto Takenaka.

l-homme-sans-talent.jpg

Pour aller plus loin :

  • Interview de Tsuge Yoshiharu par Hiroshi Yaku, éditeur de la revue Comic Baku, réalisé en 1987, à lire sur le site des éditions Ego comme X : link
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