Mangaka #3 – Jirô Taniguchi
L’auteur à l’honneur d’avril ce sera Jirô Taniguchi (谷口 ジロー). Cela fait bien longtemps que j’avais envie de faire un article sur lui, sa disparition récente n’a fait que renforcer ma volonté de lui rendre hommage, mais le temps file et je n’en ai rien fait ! Le rendez-vous mensuel Auteur à l’honneur (initié le mois dernier) et le challenge un mois au Japon sont là pour me motiver.
Paradoxalement, Jirô Taniguchi est un auteur plus réputé en France qu’au Japon. Et pour cause son style est une sorte de pont entre la BD occidentale et le manga. Son dessin très réaliste et son découpage le rendent très accessible aux lecteurs de BD non habitué aux codes manga. Plusieurs des œuvres sont d’ailleurs publiées dans le sens occidental de lecture afin d’être accessibles à tous les lecteurs, même ceux qui sont perturbés par une lecture en sens original.
Son premier manga paru en France est L’Homme qui marche, publié par Casterman en 1995. Bien que l’oeuvre ne fut pas un franc succès commercial à l’époque, il a beaucoup marqué les esprits notamment du côté des auteurs et des éditeurs francophones de BD qui, pour beaucoup, avaient une image très stéréotypée du manga et ne s’imaginait pas que parmi la production de mangas on puisse trouver des œuvres contemplatives et poétiques telles que L’homme qui marche.
Le manga a d’ailleurs été republié plusieurs fois, la dernière édition date de 2015. Très bien accueillie par la critique, cette première oeuvre traduite ouvre les portes de la France aux mangas de Taniguchi.
Je n’ai pas lu tous ses mangas traduits, mais après en avoir lu un assez grand nombre je distingue deux catégories : ses mangas action au dessin plus réaliste, plus chargé, mais peut-être aussi plus beau. Dans cette catégorie j’ai été particulièrement marqué par Le sommet des Dieux, mais j’ai aussi apprécié Sky Hawk. Et de l’autre côté une production beaucoup plus épurée dans le dessin et plus introspective dans le récit. Dans cette catégorie on ne peut que citer Le journal de mon père qui met en lumière l’incompréhension entre le fils et son père avec beaucoup de sensibilité. Cette deuxième catégorie semble s’ouvrir avec L’Homme qui marche. Un projet qui a vu le jour grâce à l’éditeur de Taniguchi qui a l’époque lui a demandé d’écrire un manga sur la promenade.
Un deuxième tournant dans la carrière du mangaka semble être marqué par sa série au Temps de Botchan, qu’il a écrit avec le scénariste Sekikawa. Pour réaliser ce manga il a beaucoup travaillé son style, il s’est beaucoup interrogé sur la façon de représenter l’histoire. Il a épuré son style réduisant le nombre de traits, notamment sur les visages et en utilisant des trames grises plutôt que des aplats de noir… Des techniques qui l’a ensuite réutilisé pour d’autres manga. Je n’ai pas encore lu cette série, mais après avoir lu l’auteur en parler, j’ai bien envie de découvrir ce manga.
La carrière du mangaka
Après son lycée, Jirô Taniguchi quitte le foyer familial pour travailler. Il veut être indépendant et trouve un travail de bureau qui ne le passionne pas. Il ne tiendra pas plus de huit mois. Depuis toujours il dessine des mangas, il décide donc de tenter sa chance comme assistant auprès de Kyûta Ishikawa, un jeune auteur de shônen à succès. Il sera son assistant pendant 5 ans avant de décider de se lancer comme auteur en 1972.
Mais ses débuts sont très difficiles, la plupart des histoires qu’il envoie aux éditeurs sont refusées et il est contraint de redevenir assistant pour subvenir à ses besoins. Il travaillera alors comme assistant pour Kazuo Kamimura. Auprès des deux mangaka aux styles, aux personnalités et aux façons de travailler très différentes, il apprend beaucoup, d’autant plus que Taniguchi est autodidacte.
Au début de sa carrière en tant qu’auteur indépendant, Taniguchi travaille pour une revue érotique. Peu à peu il s’oriente vers des manga sur les animaux. Son éditeur lui présente le scénariste Natsu Sekikawa avec qui il collabore sur diverses séries. Puis après la disparition du magazine pour lequel les deux auteurs travaillaient Taniguchi change de collaborateur et se met à écrire des séries avec Caribu Marley. Les deux auteurs collaborent sur de nombreuses séries. C’est une période de travail intensif qui lui permet à peine d’en vivre.
Après quelques problèmes de santé alarmants. Taniguchi décide de ralentir le rythme, de réduire le nombre de séries en cours. Il cesse de travailler pour des hebdomadaires pour moins subir la pression des délais. Mais finalement son style graphique étant assez travaillé, cela ne signifie pas forcément moins de travail, mais peut-être plus de sérénité. Il n’est plus obligé d’employer plusieurs assistants et peu ainsi mieux gagner sa vie. Les assistants sont en effet payé par le mangaka et non par la maison d’édition. Ce qui crée une relation assez particulière. Taniguchi dit se sentir responsable des assistants qu’il emploie et avoir parfois accepté des projets qui ne l’intéressent pas vraiment pour ne pas devoir mettre ses assistants au chômage.
Une autre oeuvre dont je n’ai pas encore parlé marque une étape importante dans la carrière de Tanigichi : Blanco (1984). C’est la première série longue qu’il écrit seul. Jusque là il avait soit écrit des histoires courtes, soit collaboré avec des scénaristes.
Malgré un succès relatif au Japon, son style et la relation de confiance qu’il a tissés avec ses éditeurs on fait que Taniguchi a pu vivre de son art, produire de nombreuses séries tout en étant assez à l’abri de la pression que connaissent beaucoup d’auteurs à succès. Heureusement puisque par rapport à d’autres mangaka japonais, Taniguchi a une façon de travailler plutôt lente. Sans être sur le devant de la scène dans le monde du manga japonais, Taniguchi a toujours réussi à suffisamment séduire les lecteurs pour pouvoir poursuivre ses séries au rythme souhaité par ses auteurs. Une seule de ses séries, qu’il écrivait avec Caribu Marley a du être stoppé précipitamment. Les auteurs se sont bien vengés puisqu’ils ont tué le protagoniste juste avant son dernier combat ! (cette anecdote m’a beaucoup fait rire).
L’inspiration de la bd occidentale :
On lisant les mangas de Taniguchi on peut sentir l’influence de la BD européenne et dans une moindre mesure du comics. Ma connaissance en la matière ne me permettrait pas de mettre le doigt sur les influences réellement, mais j’ai ressenti quelque chose de très occidental à la fois dans son dessin et dans le découpage de ses pages.
Parmi les auteurs européens l’ayant influencé le mangaka cite : Bilal, Giraud- Maebius (qui est devenu un modèle pour lui), Micheluzzi, Giardino, Tito, Crepax, Crespin, Schuiten… Parmi les auteurs américains, il cite Frank Frazetta, Richard Corben, Mike Mignola, Franck Miller… Ce sont plus généralement les auteurs parus dans la revue Métal Hurlant à laquelle il s’était abonné à prix d’or qui l’ont marqué. À l’époque les mangakas s’intéressent très peu à la BD occidentale et très peu de titres sont traduits en japonais. Ce n’est donc que par leur aspect graphique et non narratif que la BD occidentale l’influence. Il parle notamment de la « très forte impression de réalisme » et du « fait que les informations étaient très nombreuses dans chaque case » contrairement à ce qui se faisait dans le manga. Autour de lui rares sont les auteurs qui partagent son intérêt pour la BD occidentale. Mais il n’est pas le seul, et le magazine Morning pour lequel il travaille tente d’ouvrir une passerelle entre les deux univers en invitant plusieurs auteurs européens à écrire pour le magazine.
bibliographie :
ses mangas disponibles en français par ordre de parution au Japon (source : Manga News)
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Les albums chroniqué sur Ma petite Médiathèque
- Furari
- Le journal de mon père
- le promeneur
- L’homme qui marche
- Un ciel radieux
- Sky Hawk
- Seton
- Les enquêtes du limier
Pour aller plus loin
Je vous conseille la lecture Jirô Taniguchi l’homme qui dessine, entretiens entre Taniguchi et Peeters. C’est très intéressant, on apprend plein de choses sur la carrière de Taniguchi et sa relation à son oeuvre. Et il se lit très facilement.
Waouh! Merci pour ce très bel et complet article. J’ai appris beaucoup de choses sur cet auteur, que j’ai découvert il y a peu. Je regrette de ne pas l’avoir fait plus tôt.
Ayant lu et présenté mon premier album de lui (un zoo en hiver), je rajoute ton article au mien!
[…] Ma petite Médiathèque avec « Jirô Taniguchi à l’honneur » […]
Superbe article ! Tu m’ouvres un univers qui m’est totalement inconnue et j’adore cela 🙂 Tu m’as donné envie d’essayer, moi qui ne suis pas très manga ! Et les dessins de cet homme ont, effectivement, l’air d’être bien différent de ceux des mangas « tradis », ce qui m’intrigue encore plus. Merci pour ta participation et pour cette belle chronique !
Le lien est ajouté, sur mon article, ainsi que sur ma page d’accueil où j’ai essayé de mettre un peu en avant le RDV.
A bientôt !
Merci 🙂 je suis contente de t’avoir fait découvrir j’espère que tu aimera
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